SUR SON DEUXIÈME ALBUMOVERGROWN, JAMES BLAKE ADOPTE LA VOIX SPECTRALE D’ANTONY HEGARTY EN PERFUSION MÉLO. PRÉTEXTE D’UNE CAUSERIE AUTOUR DE JONI MITCHELL, DES SYNTHÉS ET DES ACCORDS À DEUX (TROUS DE) BALLES.

Juste avant la salle de concert de l’Institute Of Contemporary Arts -350 places, c’est complet-, on longe l’expo du photographe allemandJurgen Teller. Celui-ci parade le cul à l’air sur un piano aux côtés d’une Charlotte Rampling qui fait de son mieux pour trouver cela banal. C’est ridicule, déplaisant ou plutôt complaisant mais le tryptique grand format de Teller fixant en nu intégral la modiste Vivienne Westwood -68 ans quand même- prouve tout au moins qu’elle est une vraie rouquine. Tout cela est plus régressif que transgressif, ce qui au fond est exactement l’inverse de James Blake, objet de notre présence en ces lieux cultivés. Lors de la parution de son premier album studio en 2011, sa chanson électro apparaît comme une non-gageure rafraîchissante. Particulièrement dans la façon de circonscrire des compositions sans que l’electronica ne serve de paravent ou de couvre-feu à une indigence mélodique. Sur scène, les titres du deuxième album de James surprennent par l’intensité chromatique de la voix, évoquant un Antony Hegarty, en moins trans. Là, devant un public aficionado, James prend en main sa musique avec un guitariste et un batteur justes, dégraissant os et structures jusqu’à la purification magnétique. Pas de showmanerie mais une séquence de ritournelles électrostatiques qui font décoller légèrement les spectateurs. Comme le métro japonais du même principe.

Le lendemain en fin d’après-midi, on retrouve le grand jeune homme -1m87 à vue de nez- dans un décor victorien aux plafonds immenses. Alors, hier? « J’ai aimé parce que je me sens définitivement plus à l’aise sur scène, plus confortable, cela m’a pris environ une année pour en arriver à cet état-là. Pour donner à la musique une sorte d’humanité et un son intégralement live, sans automation, sans clic, sans ordinateur. J’utilise uniquement un Prophet 08, un Nord Wave et un piano. »

La note du trou du cul

Mais quelle sorte d' »humanité » a reçu le petit James à la maison, avec un père qui sous le nom de James Litherland, fera une (très) modeste carrière « pop ». « J’ai grandi, enfant unique -j’ai seulement des cousins qui vivent en Australie- avec des parents qui m’ont donné beaucoup d’amour et ont été d’emblée très supporters. J’écoutais surtout du folk-blues, du gospel, de la soul, Eric Satie et Bach. » Le gospel établit la présente connexion: l’un des morceaux du disque nouveau a été fabriqué avec Brian Eno, fan avéré du premier Blake et de gospel, dont il fait entendre un titre fameux à James histoire de lui souhaiter la bienvenue à domicile, le Peace Be Still du révérend Cleveland. Dans une atmosphère « relax », Eno et Blake parlent chiffons (ou presque), célébrant la vieille tactique enoesque du détournement artistique par le hasard calibré. « A ce stade du processus d’enregistrement, j’avais besoin de PARLER à quelqu’un, de partager les choses, j’y suis donc allé avec Rob (McAndrews, le guitariste) et Brian était là quand on a enregistré. J’avais commencé avec un loop fait dans une chambre d’hôtel à Paris, sur ce machin qui s’appelle l’OP-1, un petit synthé avec un clavier, un petit écran et des manettes, Eno était fasciné (…) et les choses sont sorties comme cela. Il m’a dit que le titre Retrograde contenait le « asshole chord », l’accord sans intérêt que jouent les claviéristes (rires). »

Le premier album de Blake s’est officiellement vendu à 400 000 exemplaires. « Cela m’a donné du plaisir, il n’y a pas de souci à vendre ainsi un premier disque, mais les gens semblent véritablement attendre quelque chose du suivant. Peu importe que je vende un million de disques ou dix fois plus, il peut y avoir 4 millions de téléchargements (sic), de nos jours, les chiffres sont flous. Il n’est pas possible de savoir combien de gens possèdent ce disque, il est surtout impossible de savoir combien de gens l’ont réellement écouté: vendre des disques est à la fois très signifiant et complètement insignifiant, parce qu’il est impossible de savoir ce que cela représente pour les propriétaires de l’objet. » Après avoir rencontré Joni Mitchell à un concert donné au Troubadour, à Los Angeles, JB écrit la chanson Overgrown. Sous le charme de l’exceptionnelle chanteuse canadienne -comme Neil Young il y a 45 ans… « C’est une personne d’une extrême élégance, drôle, intéressante, fascinante, ironique ». James admet qu’il y a de l’ironie dans sa musique, mais pas forcément consciente: « Je ne cherche pas le sarcasme, même si l’ironie est partout dans le monde, cette chambre d’hôtel victorienne, en elle-même, est ironique. » Ce qui l’est moins, c’est la façon déconcertante dont la promo autour du disque mentionne la rencontre amoureuse de James et d’une fille de l’autre côté de l’Atlantique. Il décrit l’événement de manière presque candide: « C’est la première fois que je tombe amoureux. Cela ne m’était jamais arrivé, je n’avais eu que des rencontres stupides ou intéressées, j’ai 24 ans et demi, je n’avais jamais rencontré quelqu’un avec qui je puisse tout partager. On vit des temps frivoles, alors que tout devrait être confronté à la critique, à la réflexion. Un article de Vanity Fair parlait de « You Generation », comme dans YouTube ou dans la pub « You decide that you create your own salad » (sic), vous générez le contenu et tout vous donne l’impression que VOUS décidez mais c’est de la vaste foutaise. Moi, je suis dans le iTube (sourire). »

Avatar électro

On n’en saura guère plus sur la fiancée d’Amérique,hormis qu’elle est dans le « business« et que, forcément, elle est « formidable« . Peu importe d’ailleurs. Plus surprenant sans doute est sa signature sur une multinationale de ce qui aurait parfaitement pu être un simple produit indie. « Paradoxalement, être signé pour quatre albums sur Universal me laisse beaucoup de liberté créative et me donne aussi une structure dont je ne peux pas dérailler. Normalement (…), pas mal de chansons sur ce disque n’atterriraient sans doute pas chez Universal qui me donne la possibilité de sortir un 12″ de house, de faire un EP tous les six mois, comme Love What Happened Here qui a dû se vendre à cinq exemplaires achetés par moi, ma mère et mon manager (sourire). » Avec le nouvel Overgrown, James a changé le pitch de sa voix, « manière d’exorciser sa musique » et s’est souvenu qu’à 4 ans, il sifflotait Otis Redding, prenait des leçons de piano, allant bientôt savoir lire et écrire la musique. Dans ce parcours classique, l’électronique n’est peut-être pas plus qu’un avatar: « Je pourrais faire un album en laissant tomber complètement l’électronique, le médium n’est pas important, les sons électros définissent seulement une palette et je pense que la plupart des artistes peuvent sortir de leur champ de prédilection. La musique électronique semble encore cool aujourd’hui mais il est probable qu’un jour, elle sonnera terriblement vieille, comparée à ce que l’on créera alors, peut-être de la musique avec des membranes électrostatiques. Aujourd’hui, le Wifi est dans les bagnoles, il y a cinq ans, cela semblait impensable. »

RENCONTRE PHILIPPE CORNET, À LONDRES

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