Aussi nerveux que les Arctic Monkeys, No More Heroes prouve que punk et jeux vidéo peuvent rimer ensemble. Analyse d’un hit.

Alors qu’en 1977, les Stranglers se demandaient ce qui était arrivé à Trotsky et Shake-speare, proclamant haut et fort No More Heroes sur leur single éponyme, Goichi Suda reprend à son compte ce cri 30 ans plus tard. Clin d’£il appuyé au titre du groupe punk britannique, No More Heroes sur Nintendo Wii accomplit le grand écart entre sous-culture occidentale et nippone. Et poursuit les desseins du génial Suda: faire découvrir aux Japonais culture et vidéoludisme à l’occidentale. L’archipel nippon demeure de fait très hermétique, vieux réflexe protectionniste oblige…

Figurant au panthéon des créateurs les plus génialement barrés de sa génération, Goichi Suda s’est taillé un nom sur la scène des jeux vidéo alternatifs il y a trois ans en livrant Killer 7 sur PlayStation 2. Grasshopper, son studio de développement, se fend alors d’un titre qui laissera plus d’un gamer bouche bée. On y dirige en effet un personnage schizophrène qui projette son existence à travers celle de sept assassins aux spécialités distinctes. Conseillé tout au long de l’aventure par un étrange ami suspendu à un fil et arborant une combinaison SM en latex rouge, le joueur évolue sur fond de scénario mêlant spiritualité, psychose et intrigue politique électorale américano-japonaise. Du jamais vu. D’autant que visuellement, Killer 7 utilise pour la première fois des aplats de couleur jetés sur des formes graphiques 3D épurées.

ESPRIT PUNK

Il faut dire que les goûts artistiques et le parcours professionnel de Goichi Suda ne sont pas des plus classiques. Surtout au regard du secteur du développement vidéoludique nippon, habituellement réfractaire à tout type de nouveauté radicale. Après s’être occupé de la préparation des fleurs et de la crémation pour une entreprise de pompes funèbres, Suda débute sa carrière en concevant un jeu de catch (il en raffole) pour Human, studio japonais spécialisé en la matière. Fan de l’incontournable Paris, Texas de Wim Wenders, le patron de Grasshopper ne jure que par la musique punk, et entend bien insuffler cet esprit dans le jeu vidéo. Mission réussie avec No More Heroes.

Directement inspiré par l’ambiance d’ El Topo, western métaphysique culte du réalisateur chilien Alexandro Jodorowsky ( voir Focus du 29 février), ce jeu déjanté arrive contre toute attente sur Wii, console familiale et grand public par excellence. Ni anti-héros ni héros, Travis Touchdown, le protagoniste de ce trip sous acide émaillé de références rétro (à coups de pixels grossiers et d’animations archaïques), se pose, selon son créateur, comme un croisement improbable entre un Otaku ( nerd japonais) et Johnny Knoxville (de l’émission Jackass). Avec une pincée de David Bowie et de Johnny Depp façon Fight Club. Un mix fantasmé par Goichi Suda, de son aveu même lors d’une séance de méditation… aux toilettes. Autre signe de ce grand brassage eurasien: le katana laser que Travis Touchdown trouve sur un site de vente en ligne. Une arme entre arts martiaux et Jedi à la base du scénario de No More Heroes.

Toujours à l’affût de quelques dollars pour se dégoter des films pornos et des fringues branchées, Travis accepte une mission d’assassinat après s’être laissé convaincre par une certaine Sylvia Christel (Emmanuelle?) lors d’une soirée arrosée. Problème: une fois son contrat honoré, il se retrouve parmi les 11 meilleurs nettoyeurs de sa ville. Ce qui amènera les dix autres à vouloir sa peau. Se déroulant dans un environnement ouvert, le gameplay du jeu amènera le joueur à déambuler dans les rues de Santa Destroy à pied ou en enfourchant une imposante moto (baptisée Schpel Tiger) pour retrouver les dix tueurs en question et régler ce différend. En attendant de pouvoir se frotter à cette série d’héros désenchantés (un cow-boy chanteur, un Cosplayers schizo, une lolita samouraï), Travis devra également accomplir de ridicules petits boulots, comme retrouver un chat errant ou tondre une pelouse. Il pourra également se rendre au vidéoclub, au hangar à sabres ou à la salle d’entraînement pour améliorer ses aptitudes au combat. Assurément ironique dans ses références, No More Heroes se déroule en mode action vu à la troisième personne. Et limite l’usage de la détection de mouvements de la Wiimote à contre-courant de la tendance actuelle. On ne bougera en effet la zapette de Nintendo que pour de menues actions telles que le choix du degré d’inclinaison du sabre. Tout un programme (malheureusement en version censurée chez nous), en attendant la suite récemment annoncée du jeu, mais aussi Kurayami, adaptation mystérieuse du Château de Kafka sur PlayStation 3.

No More Heroes. Développé par Grasshopper Manufacture Inc. Edité par Rising Star Games Limited. Distribué par Atari. Disponible le 14/03 sur Nintendo Wii.

TEXTE MICHI-HIRO TAMAï

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