Frères pétards

Alors que la mort de George Floyd a rallumé la mèche, Run The Jewels dézingue joyeusement un pays miné par les inégalités et les brutalités policières.

Il n’est décidément pas évident de sortir un disque de nos jours. Le simple fait de trouver une date est devenu visiblement un vrai casse-tête. Faut-il maintenir la date initiale? L’avancer pour ne pas se retrouver coincé dans la cohue de la rentrée? Le retarder pour ne pas tomber dans une actu trop pesante? Dans des agendas chamboulés par le Covid-19, c’est désormais quitte ou double. Alors que son nouveau disque aurait dû paraître cette semaine, la chanteuse Soko a ainsi préféré retarder la sortie d’un mois pour ne pas « détourner l’attention » du débat autour de Black Lives Matter. À moins que ce ne soit l’inverse?…

Du côté de Run The Jewels, on se pose moins de questions. De toute façon, le débat racial aux États-Unis, ils connaissent, cela fait bien longtemps qu’ils ont mis les pieds dans le plat. N’y tenant plus, le duo a donc décidé de lâcher le quatrième volet de leurs aventures deux jours avant la date prévue. Le geste pourrait paraître anecdotique. Il résume pourtant bien l’état d’esprit de RTJ, l’urgence de leur musique s’alignant parfaitement sur celle générée par la situation explosive aux USA, depuis la mort de George Floyd.

Buddy movie

Il est tentant de faire du rap de Run The Jewels la bande-son « idéale » de la révolte actuelle de la communauté afro-américaine. Il faut cependant rappeler à quel point le duo apparaît au départ sinon comme une anomalie, en tout cas comme le projet de deux outsiders complets: Killer Mike et El-P, quasi quadras quand ils sortent leur premier projet commun, en 2013. Le duo commence par se la jouer rigolard, alignant les blagues de super-héros et de fumeurs de joints. Rapidement pourtant, leur buddy movie devient plus frontalement politique. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement pour ce duo « mixte », composé d’un Noir d’Atlanta et d’un Blanc de Brooklyn? A fortiori dans l’Amérique fragmentée de Trump.

Frères pétards

Sans abandonner leur ironie, les deux rappeurs dézinguent plus que jamais les errances de la démocratie américaine, son racisme structurel, les brutalités de sa police. Dans Walking in the Snow, Killer Mike raconte:  » You so numb, you watch the cops choke out a man like me / Until my voice goes from a shriek to a whispered « I can’t breathe«  », référence à Eric Garner, lui aussi mort étranglé par la police. Musicalement, la formule n’a pas changé, à la fois cogneuse et accrocheuse, lorgnant vers les classiques sans jamais sonner passéiste. Elle est à ce point maîtrisée qu’elle permet par exemple de rassembler sur un même titre ( JU$T) des invités a priori aussi opposés que Pharrell « Happy » Williams et Zach « Rage Against The Machine » de la Rocha, sans que cela choque. Plus loin, c’est même l’immense Mavis Staples qui vient donner un supplément d’âme à Pulling -he Pin. L’alchimie entre El P et Killer Mike est particulièrement jouissive. Le duo a souvent déclaré que Run The Jewels sortirait au moins quatre albums, avant d’éventuellement passer à autre chose. Si c’est le cas, ils ne pouvaient pas trouver meilleure manière de clôturer la franchise.

Run The Jewels

« Run The Jewels 4 »

Distribué par Warner.

8

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