L’implosion d’Oasis est aussi celle de deux frères écartelés entre l’amour musical et la rivalité, voire la haine, consanguines. L’histoire du rock est nourrie de destructions fraternelles, de faux frères et de familles fantômes… Exemples choisis.

Frères ennemis

Si les coups de gueule – et les coups tout court – ont fini par anéantir la carrière d’Oasis, il ne faut jamais désespérer d’une tardive réconciliation. Malgré le côté théâtral et  » définitif  » des déclarations péremptoires de Noel ou Liam, le temps est un sacré guérisseur. Exemple dans le parcours orageux de The Everly Brothers. C’est l’histoire de 2 mecs qui inondent les années 50-60 d’harmonies vocales parfaites, servant de couvertures chauffantes aux banquettes arrières des flirts en bagnoles. Bye Bye Love ou Wake Up Little Suzie, B.O. triomphales de ces années-là , enfantent Simon/Garfunkel et bluffent les futurs Beatles. Entre 1957 et 1964, The Everly Brothers font le tour du manège de la gloire: hits, argent, amours d’un soir, alcool et le tutti quanti rock’n’roll. Et puis, histoire connue, le triomphe se fane, le public va voir ailleurs. En 1973, Don, ivre en scène, provoque la fureur de Phil qui quitte la salle au milieu du concert: ils ne se parleront plus pendant 10 ans, ne se croisant qu’une seule fois, à l’enterrement du père en 1975… Quand ils se réunissent enfin, pour 2 prestations exceptionnelles au Royal Albert Hall de Londres, en septembre 1983, la magie est, contre toute attente, intacte, fiévreuse, dévorante. Pendant le sublime Let It Be Me, le cadet Phil observe son frère Don avec une telle intensité, une telle volupté même, que le lien apparaît indestructible. Sans aucun doute l’un des plus beaux moments rock jamais filmés (1).

Variante tragique: Creedence Clearwater Revival – groupe monumental de la période 1967-1972 – fait une fulgurante carrière après laquelle le leader John Fogerty se fâche définitivement, pour des histoires de business, avec son frère Tom, guitariste rythmique. Tom meurt en 1990, sans réconciliation.

(1) Mots-clés YouTube: everly let it be me vlegisma

Frères de l’ombre

Au moins 2 cas célèbres: Chris Jagger et Mike McGear. Le premier est le frère cadet de 4 ans du Rolling Stones en chef. Il tente, sans grand succès, une simili carrière musicale depuis les années 70, dont un album pour David Geffen. Récemment, YouTube a montré les images d’un duo fraternel improvisé dans un pub anglais devant 40 personnes: Chris est une version Plus belle la vie de Mick, mais n’a visiblement pas le même charisme du popotin. Ensemble, ils reprennent Dead Flowers, standard vénéneux des Stones, mais le résultat tombe un peu à plat (2). McGear, né en 1944, n’est autre que le jeune frère de Paul McCartney. Il change son pseudo pour ne pas être bouffé par le maestro beatlesien, et réussit une vraie carrière au sein de The Scaffold, trio cabaret-chansonnier-drolatique de la fin des sixties. Trois tubes atypiques grignotent le Top 10 anglais dont Lily The Pink adapté ensuite par… Richard Anthony dans Le sirop typhon, énorme tube francophone de 1969 . Mais le (bref) zénith est atteint par l’album solo McGear, sorti en 1974: Mike y est produit par Paul, celui-ci cosignant la quasi totalité des chansons. L’album est aujourd’hui simili culte, mais sonne comme du McCartney sans vraiment en être…

(2) Mots-clés YouTube: jagger in barnes

Frères bisounours

Radiohead. Chez ce groupe distingué d’Oxford, la fratrie ne s’engueule pas. En tout cas, pas en public. Les Greenwood, Colin et Jonny (sic), cadet de 2 ans, sont respectivement bassiste et guitariste: Jonny, à l’exception notable de Thom Yorke, est le membre le plus créatif de Radiohead. Tout cela semble être une affaire de gentleman’s agreement: entre les frangins, ni coups, ni insultes, ni vociférations alcoolisées, on est dans l’anti-Oasis. Bref, on s’emmerde un peu question dysfonctionnements. Plus de chance du côté des ricains Kings Of Leon, groupe fondé à Nashville en 1999 par les frères Caleb, Nathan et Jared Followill et leur cousin, Matt? Lorsque le batteur Nathan annonce son mariage, le leader Caleb lui tombe dessus dans la presse, soucieux que son frère ne se fasse plumer par une union trop favorable à la promise… Le père de la fratrie, pasteur pentecôtiste, n’a pas fait de commentaires. Trop mignon.

Frères morts

Duane Allman, potentiel Jimi Hendrix blanc, se tue prématurément à moto le 29 octobre 1971, quelques semaines avant son 25e anniversaire. Dès 1968, il s’impose comme musicien de studio hors pair sur les disques d’Aretha Franklin, Otis Rush et Wilson Pickett. Il bluffe Clapton qui l’incorpore aux sessions de Derek & The Dominos, l’Anglais reconnaissant dans son jeu une virtuosité sentimentale greffée au c£ur du blues. Mais la carrière de Duane est dédiée aux Allman Brothers, puissant groupe de southern rock qu’il gère avec son frère Greg depuis mars 1969: l’affaire atteint son zénith sur un live incandescent ( At Fillmore East), paru en juillet 1971. Duane y est magistral, tragiquement instinctif. Quand il a la mauvaise idée de s’écraser contre un camion à Macon, Géorgie, le groupe décide de continuer. Il survit aussi à la mort du bassiste, Berry Oakley, tué à moto 13 mois après Duane, à 3 blocs de l’accident initial… Trente-huit ans plus tard, The Allman Brothers restent une incontournable référence de la scène sudiste américaine. Mais pas seulement: ses résidences prolongées au Beacon Theater de New York entretiennent une légende nourrie de l’absent majeur, Duane, qui plane encore sur cette musique, gavée aux alluvions gras du Mississippi. Le disparu comme inspiration suprême, ce n’est pas si mal.

Variante tragique: Jesse Garon Presley est le frère jumeau d’Elvis. Mort-né le 8 janvier 1935, il est enterré dans l’équivalent d’une boîte à chaussures dans une tombe anonyme de Tupelo, Mississippi. Ses parents n’ont pas les 10 dollars nécessaires pour payer le médecin venu constater le décès… Sans verser dans la psychanalyse cheap, on comprend qu’Elvis ait été – durablement – marqué par l’affaire.

Texte Philippe Cornet