1966, BRIAN WILSON VEUT OFFRIR « UNE SYMPHONIE ADOLESCENTE À DIEU » VIA SMILE, ALBUM DÉMESURÉ QUI AMÈNE LE GÉNIE DES BEACH BOYS À LA DÉPRESSION PUIS À LA MALADIE MENTALE. LA SORTIE D’UN COFFRET XXL RACONTE LA SAGA D’UN BRILLANT DISQUE ENFOUI DEPUIS PLUS DE 4 DÉCENNIES.

« Banni de sa vaste résidence pour vivre dans une petite cabane près de la piscine parce que son attitude dégénérée avait trop d’effets négatifs sur ses 2 filles, Wilson passait ses nuits à sniffer de la cocaïne, parfois mélangée à de l’héroïne, tout en buvant d’énormes quantités d’alcool. Sa famille avait finalement dû geler son compte en banque pour mettre fin à ses dépenses en drogues et il avait pris l’habitude d’errer dans les rues de L.A., passant une bonne partie de son temps à se faire éjecter des salons de massage où il s’enfermait avec ses compagnons de défonce. » Dans son Dark Stuff publié en 1994 (1), le journaliste anglais Nick Kent chronique les années de déchéance du Beach Boy majeur qui suivent la période de 1966-1967 consacrée à l’élaboration de Smile. Pour comprendre l’enchaînement des enfers personnels de Wilson, il faut repartir de Good Vibrations,  » symphonie de poche » dont l’enregistrement traîne de février à septembre 1966. La chanson défonce toutes les statistiques: 4 studios et 19 musiciens sollicités pour un budget de 50 000 dollars, une monstrueuse somme dans les sixties! Brian Wilson y expérimente une nouvelle méthode, enregistrant des dizaines de fois des sections spécifiques du morceau avant de les éditer, pareillement à la narration d’un film composé de scènes qui viseraient l’indépendance l’une de l’autre. Le résultat est un triomphe commercial, n°1 aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne. Cette méthode de stratification d’un titre qui, au final, ne fait que 3 minutes 39 secondes décide Wilson à réitérer le procédé pour l’intégralité d’un album qui doit suivre la sortie de Pet Sounds, paru en mai 1966.

Sable dans le salon

Depuis 1961, les frères Wilson (Brian, Carl, Dennis), leur cousin Mike Love et Al Jardine (2) fabriquent une pop océanique de bagnoles, filles en maillots, surf et Pacifique immaculé. En décembre 1964, le chromo se fendille une première fois lorsque Brian fait une crise de panique en avion, et décide de ne plus tourner avec le groupe, s’investissant intégralement dans le processus studio. L’histoire familiale pénible -les frères sont terrorisés par leur père Murry qui est aussi leur manager- heurte le mur des drogues psychédéliques, dans lesquelles Brian plonge avidement. Etanche aux spasmes du monde -révoltes étudiantes, Vietnam-, l’aîné des Wilson s’immerge jusqu’à la nausée lysergique dans ses émotions vacillantes. Alors qu’il conçoit une pop cosmique d’une pureté infinie, sa propre psyché se noircit de délires grandissants: la parution du Rubber Soul des Beatles (décembre 1965) l’amène à entrer dans une compétition imaginaire avec les Fab Four. Bourré d’amphétamines et de LSD, Wilson installe du sable dans son salon et surfe sur ses propres fantasmes.

Comme on l’entend sur l’imposant coffret qui sort chez EMI ( lire par ailleurs), le projet Smile séquence des chansons réunies par des pièces vocales et des instrumentaux. Le format pop/rock implosé, la musique est à la fois divinatoire et enfantine, s’immisçant entre plusieurs réalités. Même après Good Vibrations, ni le label (Capitol), ni les autres membres des Beach Boys ne sont prêts à cette révolution musicale, forme extraordinairement sophistiquée du cri primal selon Brian. D’autant que Wilson partage, dès l’été 1966, son processus créatif avec Van Dyke Parks, musicien-parolier-compositeur étranger au groupe. Ce qui intensifie les différends, particulièrement avec Mike Love, le cousin pas très fraternel. Quand Smile est officiellement annulé au printemps 1967, Wilson a enregistré des dizaines d’heures de musique, avec Parks, les BB mais aussi une armée de session men. Certains titres tels que Surf’s Up ou Heroes And Villains échoueront sur des albums ultérieurs des BB dans des versions reformatées, privées de la magie consanguine de Smile. Le naufrage de son projet mirifique accentuera la paranoïa de Wilson, condamné à passer le solde de sa vie adulte sous antidépresseurs. Diagnostiqué dans les années 80 comme souffrant de désordre bipolaire, Wilson subira pendant plus de 2 décennies l’influence maléfique d’Eugene Landy, douteux thérapeute gourmand -il facture à Brian 35 000 dollars d’honoraires mensuels- tardivement écarté par voie judiciaire en 1992. Ironie de l’histoire, Brian Wilson, ayant récupéré l’essentiel de ses facultés mentales, a trouvé le succès solo depuis la fin des années 90, se produisant régulièrement en Europe comme aux Etats-Unis: ses 2 frères Dennis et Carl n’entendront jamais le Smile rêvé par leur aîné, ils sont morts en 1983 et 1998. l

(1) CHEZ PENGUIN BOOKS, L’EXTRAIT REPRODUIT EST LIBREMENT TRADUIT DE L’ANGLAIS. LA VERSION FRANÇAISE EST SORTIE EN 2006 AUX EDITIONS NAÏVE.

(2) NOYAU DE BASE DU GROUPE QUI CHANGERA AU FIL DES ANS.

TEXTE PHILIPPE CORNET

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