De Madonna à REM, les clippeurs français reprennent la main. Comment est née la relève des Gondry et autres Mondino? Tentative d’explication.

a scène se passe il y a deux ans, sur le plateau des MTV Awards européens, à Copenhague. Enervé d’avoir vu le trophée du meilleur clip lui passer sous le nez (et encouragé par quelques verres de trop…), le rappeur Kanye West déboule sur le podium et agrippe le micro:  » Cette vidéo (NdlR: celle de Touch The Sky) m’a coûté un million de dollars! J’avais Pamela Anderson en plus, et j’ai sauté dans les canyons.  » Avant de se tourner tout de même vers les vainqueurs du jour:  » Ce n’est pas contre vous, d’ailleurs je n’ai jamais vu votre vidéo. » Jérémie Rozan, réalisateur, et So Me, directeur artistique du label Ed Banger, sont hilares. Qu’ont-ils fait pour réussir à damer le pion aux dollars de West et à sa superproduction, c’est vrai, plutôt chiadée? Pas grand-chose. Le clip un peu cra de We Are Your Friends a en effet été tourné en une après-midi, dans une boutique à Paris, avec pour seuls comédiens des membres de l’agence et du label. Vert, le Kanye…

C’est donc officiel: la production hexagonale a repris la main sur le clip. En fait, même Kanye West a embauché les Frenchies. Il confiera notamment la direction de Good Life à… So Me et aux deux jeunes réalisateurs Jonas et François. Le cas de ces derniers est exemplaire. Agés d’à peine 25 ans, ils n’ont pour l’instant qu’un CV limité. Mais ils peuvent déjà se targuer d’y compter une collaboration avec Madonna, via la réalisation de 4minutes, premier single tiré de son récent album. Comme beaucoup d’autres, la pop star a été bluffée par leur travail sur le fameux D.A.N.C.E. de Justice ( voir plus loin). Filmé en noir et blanc, tout y est centré sur les t-shirts arborés par le duo électro, et dont les motifs ont été « animés » astucieusement en post-production. Banco! Jonas & François remportent à leur tour un MTV Award en 2007.

Pourquoi un tel plébiscite du clip made in France? Difficile à dire. Il y a certes quelques faits objectifs. Comme une certaine tradition hexagonale du clip inventif et visuellement audacieux. On veut évidemment parler de l’incontournable trilogie Mondino-Gondry-Sednaoui ( voir ci-contre). A eux trois, ils ont réalisé quelques-uns des clips les plus marquants de ces vingt-cinq dernières années. C’est bien simple: tout le gratin rock est passé devant leurs caméras. Par ailleurs, même si des chaînes musicales comme MTV et MCM n’ont débarqué sur les écrans « mitterrandiens » qu’à la fin des années 80, l’Etat a très tôt mis en place des structures pour aider cette industrie naissante. Par exemple, en créant l’agence gouvernementale Octet ou en lâchant des aides au financement via le Centre national de la cinématographie. Et puis, il faut aussi compter sur un enseignement solide, comprenant des écoles de cinéma mais aussi, voire surtout, de recherches graphiques réputées. Comme l’Ecole supérieure d’arts graphiques Penninghen, à Paris, qui a notamment formé Antoine Bardou-Jacquet (Air, Alex Gopher,…) ou Alex Courtes (U2, le Seven Nation Army des White Stripes).

SYSTEME D

Récemment, un autre facteur est venu s’ajouter. Sur un des t-shirts portés par Justice dans le clip de D.A.N.C.E., on pouvait lire le slogan:  » Internet killed the video stars » . Et de fait, le Net a sensiblement changé la donne. D’abord, parce qu’il a sapé l’industrie du disque qui rechigne désormais à financer des vidéos trop coûteuses. Confirmation de Jonas & François dans le dernier numéro du magazine Tsugi:  » Beaucoup de clips actuels sont réalisés en studio pour des raisons économiques ou centrés sur des détails. » C’est donc le règne du système D et de l’ingéniosité. Autant de qualités pratiquées depuis longtemps par Gondry, par exemple, qui en a même fait sa marque de fabrique. Dommage collatéral: on assiste aussi à une overdose d’effets de manche graphiques et de jeux sur la typographie. De simple, la démarche devient systématique.

Mais le Net n’a pas conduit qu’à la raréfaction des moyens. Il sert aussi de vitrines à des talents inédits. Vincent Moon, par exemple. De son vrai nom Mathieu Saura, il est un cas à part.  » J’ai étudié le cinéma à la fac et l’ai detesté. J’ai découvert ensuite une certaine façon de faire de la photo dans un atelier étrange et éphémère. J’ai alors réappris à aimer une autre idée du cinéma, plus proche du photoreportage que des productions hollywoodiennes. » De fait. Plus proche du documentaire que du clip, Vincent Moon délaisse volontiers les obsessions graphiques de ses camarades pour préférer le gros grain, un peu comme a pu le pratiquer le réalisateur néérlandais Anton Corbijn. Sur le site de la Blogothèque, il filme les groupes sur le vif, en train de jouer dans la rue, au milieu d’un parc, dans un appartement, ou comme c’est le cas avec Arcade Fire, dans l’ascenseur de l’Olympia. L’an dernier, Vincent Moon s’est même envolé vers les States pour filmer REM, chez eux, à Athens. A ce propos, Vincent Moon raconte en préambule de ces vidéos comment Michael Stipe, le leader du groupe, a pu ironiser:  » Mais qui donc veut voir un musicien jouer d’un instrument? » Et si Internet avait changé cela aussi?

Texte Laurent Hoebrechts

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