DE BENNETT MILLER. AVEC STEVE CARELL, CHANNING TATUM, MARK RUFFALO. 2 H 14. SORTIE: 25/02.

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Eprouvée de Capote en Moneyball, la méthode Bennett Miller consiste à s’inspirer d’histoires vraies et de personnages réels comme pour mieux autopsier l’Amérique. Ainsi, aujourd’hui encore, dans Foxcatcher, son troisième long métrage, inscrit dans le paysage des années Reagan; le récit, abracadabrant à bien des égards, de la relation toxique qui devait s’établir entre un milliardaire excentrique et deux champions de lutte. Tout commence lorsque John Du Pont (Steve Carell), héritier d’une dynastie fameuse d’entrepreneurs, propose à Mark Schultz (Channing Tatum), médaillé olympique, d’emménager dans la propriété familiale, en Pennsylvanie, afin de préparer les J.O. de Séoul au sein du team Foxcatcher. Les motivations du généreux mécène (et coach auto-proclamé) sont assez obscures, mélange de patriotisme exacerbé et de besoin de reconnaissance (maternelle en particulier), combiné à une mégalomanie sans frein -le genre à vouloir qu’on lui donne du Eagle, voire mieux, du Golden Eagle-, pas le moins inquiétant de ses traits de caractère. Mais le fragile Mark y voit pour sa part des conditions d’entraînement idéales, assorties de la perspective de se libérer de l’ombre de son frère, Dave (Mark Ruffalo), modèle de charisme et d’assurance tranquille, lequel ne masque pas son scepticisme devant l’entreprise. Et le trio de se voir insensiblement aspiré dans une spirale incontrôlable où s’entrechoquent ambition frénétique, sentiment de trahison, chimères et folie…

S’immiscant au coeur de cette relation, Miller y puise les bases d’une tragédie qu’il orchestre avec maestria, jouant des non-dits comme des temps de suspension, pour signer un film imposant et étouffant. Autant que la saisissante beauté de Foxcatcher, inscrit dans la pâleur funèbre de paysages hivernaux, c’est son ampleur qui impressionne en effet, ce portrait pluriel ouvrant, au-delà de sa complexité humaine, sur celui d’une Amérique évoluant sur le fil, entre névroses et rêve(s) dévoyé(s). Une perspective que Miller préfère insinuer plutôt que de la marteler, gardant à son film une part bienvenue d’opacité, à l’image, d’ailleurs, de ces zones d’ombre qu’il ménage à ses trois protagonistes. Portée par une interprétation brillante, et sertie dans une mise en scène d’un classicisme posé (justement récompensée, pour le coup, lors du dernier festival de Cannes), il y a là, s’avançant en terrain aussi fascinant que miné, une magistrale réussite.

J.F. PL.

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