Flux et reflux

© National

Du 12 mai au 26 juin, le cinéma Nova, à Bruxelles, consacre une passionnante programmation à la question des flux numériques.

Le Nova nous convie à un véritable voyage au cœur du pixel. Du 12 mai au 26 juin, cet incontournable temple de l’underground bruxellois met en effet à l’honneur l’immense flot des images disponibles en ligne via une programmation qui interroge notre rapport incessant aux écrans. Ambitieuse et riche en invités, elle s’accompagne de la sortie du livre, Captures d’écran, (Yellow Now), qui analyse comment le cinéma répond aujourd’hui aux flux numériques en se les appropriant.

Au cœur de cette foisonnante sélection de films d’un genre nouveau, on pointe particulièrement deux documentaires récents, constitués d’images glanées sur Internet. Dans Big in China, le Québécois Dominic Gagnon, spécialiste d’un dispositif qu’il a lui-même baptisé “saved footage” (soit le montage de vidéos non-virales récupérées essentiellement sur YouTube), s’intéresse au cas très particulier d’un Français, Georges, installé en Chine. Durant plus de dix ans, ce dernier publie des vidéos dans lesquelles il raconte d’abord plus ou moins innocemment son quotidien, avant de basculer dans une approche beaucoup plus critique. Dans une succession de monologues obsessionnels, il étale en effet sa détestation sans filtre du pays dans lequel il vit, entre racisme assez problématique et paranoïa aux accents complotistes. Ce qui ne manque pas d’agacer les autorités locales, bien sûr, et finit, en un sens, par lui donner raison… Avec Big in China, Gagnon signe le fascinant portrait d’un personnage constamment sur la brèche, bourré d’ambivalences, et croqué façon grand zapping dans un montage face auquel on ne sait jamais tout à fait sur quel pied danser -ce qui en fait aussi tout le sel.

Dans l’ahurissant Il n’y aura plus de nuit, la Française Éléonore Weber utilise quant à elle des images filmées depuis des hélicoptères militaires par des caméras thermiques sur lesquelles s’alignent les viseurs des canons-mitrailleurs. Le trouble est immédiat, l’ensemble du film adoptant ainsi le point de vue de soldats qui scrutent le paysage dans l’intention d’intervenir à distance. “ Celui qui filme est également celui qui tue”, nous dit-on, et notre position de spectateur n’a peut-être jamais été aussi inconfortable. D’autant qu’il s’agit de composer en permanence avec le doute, l’incertitude, liés à la nature même de ce que l’on voit, ou plutôt de ce que l’on croit voir. Afin de lui permettre de décoder ces images, et le regard militaire qui les conditionne, Weber est entrée en contact avec un pilote qui a accepté de les commenter pour elle. Leurs échanges nourrissent un texte à la mélancolie fantomatique lu en voix off par l’actrice Nathalie Richard. De la rencontre entre ces mots et l’horreur déréalisée de la guerre, qui évoque un jeu vidéo grandeur nature, naît une perforante poésie funèbre. Elle touche, certes, à la sidération la plus totale, mais offre surtout matière à d’infinis questionnements, moraux comme existentiels.

Big in China, Georges and the Vision Machines

De Dominic Gagnon. 1 h 17. Sortie: 19/05.

7

Il n’y aura plus de nuit

D’Éléonore Weber. Avec la voix de Nathalie Richard. 1 h 16. Sortie: 14/05.

9

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