AVENTURIERS IDÉALISTES, MARGOULINS FANTAISISTES… AVANT DE SE RÉFUGIER SUR LE NET, LES PIRATES ONT LONGTEMPS PRIS LA MER POUR ÉCHAPPER AUX AUTORITÉS.

Cela commence comme un bon polar du samedi soir. Dans un coin paumé de la campagne anglaise, au milieu de la nuit, des bruits de bagarre, puis un coup de feu. Quand la police arrive, elle découvre le corps de Reginald Calvert: le propriétaire de Radio City a été abattu par son rival Oliver Smedley. C’est ainsi que démarre La mort d’un pirate d’Adrian Johns, faux thriller mais vraie histoire passionnante des radios pirates en Angleterre, sorti chez Zones Sensibles. Récemment, un autre ouvrage, rédigé par Daniel Lesueur, se lançait également dans une Histoire des radios pirates (aux éditions Camion Blanc). Il y a 2 ans, le film The Boat That Rocked se chargeait encore de raconter sous l’angle de la comédie les aventures de ces mêmes pirates sur grand écran… Le sujet est dans l’air (on air?…). Il faut dire que tous les ingrédients sont réunis: aventure, suspense et intrigues au menu.

L’aventure Caroline

Difficile d’imaginer aujourd’hui le paysage radio d’il y a 40 ans à peine: une grande plaine quasi déserte, occupée par les seules radios publiques. Précision: le scénario est d’abord européen. Du côté des Etats-Unis, on a toujours vu les choses autrement. Bill Brewster et Frank Broughton dans leur somme Last night a DJ saved my life: « Le restant du monde voyait le médium comme une force pour informer et éduquer leurs populations et du coup les programmes nationaux qui en résultaient étaient paternalistes et sérieux. En Amérique, cependant, après un court débat, la radio a rapidement été envisagée comme un médium publicitaire de masse. « 

Rien de tout ça sur le Vieux Continent. Quand la BBC est créée, en 1922, son directeur général, John Reid, n’a qu’une faible idée de ce que recouvre exactement le terme « radiodiffusion ». Par contre, il a une conception très claire de ce qu’il veut en faire: un outil d’éducation des masses. Le dimanche, il prévoit d’ailleurs une programmation plus sobre, consacrée au service religieux et à la musique classique. « Le « Reith Sunday », écrit Adrian Johns, isolait un moment de calme et de réflexion dans le tumulte de la vie moderne. La piraterie lui en serait grandement redevable. « 

Les radios commerciales qui émettent depuis le continent vont en effet en profiter. Radio Luxembourg est la première d’entre elles. D’autres vont embrayer. L’astuce: monter un studio sur un bateau et rejoindre les eaux internationales pour esquiver les réglementations nationales interdisant la diffusion sauvage de programmes. C’est l’aventure Caroline: le 27 mars 1964, l’équipe de Ronan O’Rahilly, un businessman irlandais, monte à bord d’un vieux ferry danois et se plante au large des côtes anglaises pour commencer à diffuser quelques heures plus tard. La vision est libertaire, volontiers naïve (n’importe qui peut se retrouver au micro). Mais pas pour autant désintéressée: la course est aussi à celui qui mettra le premier la main sur le magot publicitaire. Certains, comme Reginald Calvert, investissent ainsi des forts maritimes abandonnés après la Seconde Guerre mondiale pour installer leur studio. De quoi améliorer un peu le confort des pirates. Même si cela reste encore l’aventure. Adrian Johns, à propos du site de Shivering Sands: « Ces hommes devaient malgré tout endurer des conditions rigoureuses, en particulier en hiver lorsque le mauvais temps empêchait le ravitailleur de quitter le port, parfois pendant plus d’une semaine. Dans ces moments-là, les tours tanguaient en grinçant et les passerelles qui les reliaient devenaient dangereuses. Eau, vivres et électricité s’amenuisaient.  » Autre exemple: Sealand, station montée également sur un ancien fort, qui s’érigera carrément en principauté indépendante! Signe des temps: quand le site de téléchargement illégal Pirate Bay se verra poursuivi par la justice suédoise, il cherchera asile sur Sealand…

Still alive

Aujourd’hui, les stations offshore ont évidemment pour la plupart disparu. La libéralisation des ondes est passée par là. Le Net aussi: tout qui veut lancer sa radio passe désormais par là. En Angleterre, pourtant, le phénomène des radios pirates reste vivace. Ofcom, l’organe de police des ondes britanniques, a encore pas mal de boulot. En fait, la plupart des derniers mouvements musicaux anglais -grime, dubstep, drum’n’bass- sont nés dans la clandestinité: des stations montées dans une petite chambre de banlieue, une salle de bain reconvertie… Le titre Sorted For E’s & Wizz du groupe Pulp raconte par exemple comment les héros de la chanson apprennent la tenue d’une rave via une radio pirate.

Autre illustration, piquée dans les charts actuels: une chanteuse comme Katy B (à l’affiche d’I Love Techno, la grand-messe électronique à Gand, le 12 novembre prochain) a fait ses premières apparitions sur Rinse FM, une radio pirate du centre de Londres qui a longtemps joué au chat et à la souris avec les autorités. Fondée en 94, la station n’a en effet reçu son autorisation d’émettre qu’en juin 2010…

L.H.

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