EN COURSE POUR LE MERCURY PRIZE REMIS CETTE SEMAINE, TAHLIAH BARNETT A SORTI L’UN DES PREMIERS ALBUMS LES PLUS MARQUANTS DE L’ANNÉE. UN DISQUE DE R’N’B MUTANT ET ANGOISSÉ. BELIEVE THE HYPE!…

Alors qu’on attend FKA Twigs dans le lobby, son assistante se renseigne: la galerie Xavier Hufkens, l’une des plus importantes vitrines d’art contemporain bruxelloises, est-elle loin de l’hôtel? On n’a pas trop de mal à imaginer la scène: la jeune chanteuse, nouvelle star « r’n’b bizarre », et hype majeure de ces derniers mois, se baladant au milieu des sculptures minimalistes ou des peintures abstraites.

La meilleure pop a toujours aimé louvoyer entre l’avant-garde et le mainstream. FKA Twigs en est l’exemple le plus récent. Son premier album –LP1– n’est sorti qu’à l’été dernier, mais cela fait plus d’un an qu’elle fait parler d’elle, affolant les branchés avec son univers arty passablement déjanté. Pour faire court, il est question ici d’une sorte de r’n’b gothique. Un peu comme si Janet Jackson s’était mise à la cold wave, ou que Bow wow wow (le groupe créé par Malcolm McLaren au début des années 80 pour promouvoir la ligne new wave de Vivienne Westwood) s’était reformé avec Aliyah à la place d’Annabella Lwin. On parle donc bien d’une musique pop audacieuse qui aime par-dessus tout cultiver son étrangeté. Comme sur le visuel de l’album, qui n’est pas sans créer le malaise: le visage de FKA Twigs ressemble à celui d’une poupée tuméfiée, le regard défait et brûlé par une rougeur incandescente. Il n’est pas non plus interdit d’y voir un personnage XIXe à la Brontë qui aurait été kidnappé par des aliens. Strange… Quand ils ont découvert son idylle avec l’acteur Robert Pattinson, les médias people n’ont d’ailleurs pas bien compris: mais qui donc est cette extra-terrestre au bras de la star de Twilight?

En vrai, FKA Twigs est née Tahliah Barnett, en 1988, du côté de Gloucestershire, coin vert du sud-ouest anglais –« de ma chambre, je voyais des champs à perte de vue ». Entre son personnage et elle, on n’est pas certain que la distance soit énorme. Déjà un peu diva (ou simplement dans son monde?), elle arrive avec une demi-heure de retard sur l’horaire prévu pour l’interview. Elle ne s’excuse pas, mais s’inquiète visiblement sincèrement du bandage que vous avez au poignet. Menue, le regard éteint, elle promène un drôle d’accent, légèrement chuintant.

Punk attitude

A l’une ou l’autre reprise, elle lâche tout de même un rire de petite fille, comme quand elle se rappelle sa première chanson. « Je devais avoir six ans. Je m’amusais à aligner des mots en essayant de pondre une mélodie. Cela donnait quelque chose comme: « All the people, all the violins, the vi-vi-violins! » Je hurlais ça à l’arrière de la voiture. C’était presque une chanson punk! »

La musique semble toujours avoir été là. « Même si je n’ai pas grandi avec lui, mon père (un danseur d’origine jamaïcaine, ndlr) était dans le jazz. Peut-être qu’il y a une part de génétique là-dedans. » Sa mère, moitié espagnole, est prof de danse et son beau-père pareillement fan de jazz. « Il écoute des trucs très expérimentaux, très free. Gamine, je détestais ça, je trouvais ça très perturbant, ce qui est comique vu la musique que je fais aujourd’hui… » A huit ans, elle voit Roy Ayers (Everybody Loves the Sunshine) sur scène. Au même moment, elle commence à chipoter au piano –« Je voulais apprendre le violon, j’étais obsédée par cet instrument, mais ma mère a préféré éviter les longues séances de torture nécessaires avant de réussir à en jouer quelques notes convenables… »

Quand elle quitte Gloucestershire à 17 ans, ce n’est toutefois pas pour la musique mais pour étudier la danse à Londres. Elle apparaît d’ailleurs aux côtés de Kylie Minogue, Ed Sheeran… On peut également la reconnaître dans la vidéo de Price Tag de Jessie J, sous les traits d’un pantin désarticulé. Aujourd’hui, elle a définitivement « coupé les fils » pour se consacrer à ses morceaux. Quoique. Tahliah Barnett est-elle vraiment l’artiste qu’elle prétend être, ou simplement la « créature » d’un label qui est passé maître dans l’art de transformer des tronches de nerds en pop stars indie (au hasard, The xx)? Certains ont vu dans l’assurance de la démarche et les moyens mis en oeuvre pour un premier album (même Paul Epworth, le producteur d’Adele, est venu y mettre son grain de sel) des raisons de douter…

Devoir batailler deux fois plus pour acquérir une crédibilité: c’est probablement le lot de pas mal de filles dans une industrie musicale toujours misogyne… Le caractère frondeur de la jeune femme ne laisse pourtant pas beaucoup d’ambigüités sur ses intentions et son indépendance. Quand on lui demande quel est le premier CD qu’elle a acheté, elle cite (innocemment?) Emancipation, triple album de Prince sorti en 96, à une époque où la star est en guerre ouverte avec sa maison de disques…

FKA Twigs (rapport au bruit que font les os en craquant) n’en est pas encore là. Pour l’instant, la jeune femme a le vent en poupe, les critiques dans sa poche, et la nomination au prestigieux Mercury Prize qui va avec. La qualité de LP1 le justifie. Mais il y a peut-être autre chose. Comme si les sentiments et l’angoisse de sa musique correspondaient particulièrement bien à l’époque, anesthésiée par l’afflux d’infos et la sur-stimulation. « Parfois, j’ai l’impression d’être submergée par les émotions, et à d’autres moments, quand on s’attend souvent à me voir fondre, je ne ressens absolument rien, comme si j’étais vide. »Les premières phrases de son album sont ainsi reprises au poète anglais du XVIe Thomas Wyatt: »I love another, thus I hate myself. » « Vous aimez quelqu’un, mais dans le même temps, naissent la jalousie, l’angoisse de le perdre, et vous vous détestez pour cela… Cela peut devenir terriblement frustrant. Mais c’est comme ça. Les choses ne sont jamais simples. »

FKA TWIGS, LP1, DISTR. YOUNG TURKS.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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