Réalisé entièrement en duo avec Yann Tiersen, Finistériens, le septième album de Miossec, est une affaire de Bretons. Et une brillante réussite.

Il y a d’abord ce paradoxe quand on rencontre Miossec: lui qui, au fil de ses albums, a toujours évité les cascades vocales, a le bavardage étonnamment chantant. Un drôle d’accent, avec des fins de mots qui traînent, des brins de phrases qui restent ouvertes. La journée promo a été intensive – « à ce point-là, je n’ai jamais fait ça! » Mais même au bout du bout de l’exercice, l’homme reste affable et disert. Au centre des discussions, Finistériens, septième album déjà du Breton. Depuis le matin, il le décortique. Par pudeur plus que par lassitude, il essaie bien par moments de dévier l’attention: vers le bouquin emporté dans les bagages ( LA Story de James Frey – « Je ferais bien un truc comme ça sur Brest… « ); ou le dernier CD acheté: la récente anthologie de Nina Simone. « Sublime. De la grosse, grosse musique. En français, Play Blessures de Bashung, c’est pareil. Ou Melody Nelson chez Gainsbourg. Pour Nougaro, c’est plus compliqué: il y en a à droite et à gauche… Et chez moi? Un de ces quatre, peut-être. Je ferai signe (rires)… Bah, mon camarade Dominique A aimerait bien aussi – en cela, on est des faux modestes. Sauf qu’on n’y arrive pas, merde (rires). Mais ça va venir, patience… Cela dit, ne pas faire la pute, ne pas passer sur les grosses radios, et réussir quand même à avoir un public, c’est déjà pas mal. On fait notre petit boulot d’artisan… « 

Manquerait donc encore un col hors catégorie à la discographie de Christophe Miossec. En attendant, cela n’a pas empêché de suivre à la trace un parcours, peut-être inégal, mais toujours batailleur et foutrement attachant. En réalité, on ne voit pas très bien de quel album de Miossec on pourrait tout à fait se passer. Certainement pas de ses 2 sommets (l’inaugural Boire et 1964), auxquels il est fort tentant d’ajouter aujourd’hui le nouveau Finistériens. Carrément? Carrément.

A la brestoise

Sorti ces jours-ci, l’opus est le fruit de la collaboration avec Yann Tiersen. Le genre de rencontre qui coulait de source. Comme Miossec, l’auteur des B.O. d’ Amélie Poulain et Goodbye Lenin est né à Brest. « Plus que la Bretagne, c’est le Finistère… On est tout au bout… Quand t’es Finistérien, les gens de Rennes par exemple, c’est pas la même chose… Humainement, c’est un peu plus âpre. Mais franchement plus drôle… «  Après un court exil bruxellois, Miossec y est d’ailleurs retourné, réfugié dans une ancienne ferme, pas loin de l’océan. C’est là que le camarade Tiersen vint un jour frapper à la porte.

Les deux bougres s’étaient déjà maintes fois croisés, sans jamais vraiment prendre le temps de se poser. « On se connaît à la « brestoise »: ça reste très pudique, et très proche en même temps. Pour ledisque, on n’a pas beaucoup parlé de la direction à prendre. Ça nous paraissait évident. » Surprise malgré tout, quand Miossec se rend compte que Tiersen n’a invité personne à les rejoindre. « Je pensais qu’on serait plein de musiciens. Mais Yann m’a dit: « Non, tu m’as pas compris, on fait l’album tous les deux ».  » Alors que Miossec se concentre essentiellement sur les textes, Tiersen tisse donc la trame musicale, passant d’un instrument à l’autre. « C’est marrant d’avoir fait ce disque à ce moment-ci de nos parcours. Avec d’un côté, moi qui m’acharne à désapprendre (rires). Et de l’autre, Yann qui est dans une accumulation de connaissances incroyable. Son studio est rempli d’instruments. Un bordel inouï avec des guitares, des vibraphones, des pianos… « 

Aristocrate du verbe

Tiersen seul à la baguette, Miossec a pu du coup envoyer ses textes se balader en front de mer, marcher contre les bourrasques, et respirer les embruns. Dans Finistériens, on trouve ainsi des chroniques sociales houleuses ( Les chiens de paille, CDD), des relations humaines salées ( Haïs-moi, A Montparnasse, Nos plus belles années…), des hommages à ceux tombés en mer (Ba-shung et l’ami Jeff Bodart, dès le premier morceau)… Comme d’habitude chez Miossec, l’amour est dévasté, un champ de bataille sans vainqueur. « Mais ce n’est pas de la complaisance… C’est chiant de devoir toujours se justifier par rapport à ce qui paraît une sorte d’évidence de la musique populaire. » Un jour, envoyée à la mer par une voyante, l’artiste Sophie Calle s’est retrouvée à suivre une vieille dame jusqu’à un bout de digue barrée . « Respirez le vent, il n’est pas le même, selon qu’on se tienne d’un côté ou de l’autre de la barrière. », a fait remarquer cette dernière. Et l’artiste de bien être obligée de confirmer. Avec Finistériens, c’est pareil. Selon le côté de la barrière, on y retrouvera les mêmes terres qui tremblent, les mêmes sentiments chahutés. Mais aussi une manière de les dire inédite, plus proche de la chronique que du coup de gueule. « Le fait de bosser avec Yann, je ne pouvais pas raconter les mêmes conneries que d’habitude. Il y avait l’obligation d’essayer de varier un peu les termes. Je n’avais pas envie de l’emmerder. En fait, je voulais juste d’un disque qui soit comme une caméra, où il n’y a aucun ego. « 

C’est le paradoxe, et la victoire, de Finistériens: s’accrocher à ce morceau de terre bretonne pour mieux raconter l’universel, puisqu’au bout du compte, les mouettes se moquent partout des mêmes travers. Et ainsi partir du particulier – Les joggers du dimanche – et arriver à se poser les questions essentielles – « Après quoi courons-nous? » Ou encore évoquer un mur de lierre et réussir à raconter l’absence: « L’image reste toujours collée au mur/Même si le mur s’est effrondré/Le lierre gardera à jamais/nos murmures », sur Seul ce que j’ai perdu (m’appartient à jamais), sublime titre d’ouverture. « A la ferme, le lierre ravage tout. En même temps, c’est très beau. J’ai déconné en voulant le couper à la racine. Du coup, les branches qui restent meurent, et sont d’autant plus difficiles à arracher! ».Ou quand une banale considération botanique sert de métaphore pour dire les sentiments qui durent. Le tout sous la forme d’un paradoxe des plus « Chamfortien ». « Alain Chamfort qui chante les textes de Jacques Duvall, c’est sublime. J’ai toujours voulu reprendre une chanson comme T’as pas le droit d’avoir moins mal que moi… Il est incroyable, le père Duvall. C’est la vraie aristocratie musicale…  » Entre nobles, on se comprend…

Miossec, Finistériens, Pias.

En concert le 27/10, au Cirque Royal, à Bruxelles.

Tout l’été dernier, Miossec a tenu des « correspondances » audio sur son site, www.christophemiossec.com

Dix capsules exclusives sont à écouter sur www.focusvif.be

Rencontre Laurent Hoebrechts

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