Treize ans qu’on l’attendait! C’est dire si la découverte de Mr Nobody, le troisième long métrage de Jaco Van Dormael, aura fait l’événement du côté du Lido. Si le film a pu en décontenancer certains par son audace narrative et son montage éclaté, on peut parler de franche réussite, tant le propos – la vie d’un homme, Nemo Nobody, déclinée en une multitude de possibles – s’en avère d’une exceptionnelle richesse, relevée d’une poésie et d’une inventivité visuelle touchant, par moments, à la pure magie. Au lendemain de la projection, on retrouvait un Jaco Van Dormael visiblement soulagé.

Mr Nobody n’est pas sans rapport avec E Pericoloso Sporgersi et Toto le héros. Peut-on y voir le film somme de tout ce qui vous a imprégné?

L’effet vient peut-être du fait que j’ai porté le film pendant longtemps. Il n’est somme que dans le sens où il s’agit d’un film posant des questions, et parlant d’un moment qui est celui de la fin des certitudes. Le cinéma qui m’intéresse est celui qui interroge, et non celui qui rassure et qui donne des réponses. Un certain type de cinéma renforce l’état du monde. Moi, j’aime l’interroger.

Le montage du film évoque un puzzle éclaté. Vouliez-vous coller au mode de fonctionnement de la pensée, ou plutôt à un mode d’expression proche du jeu vidéo?

La construction peut rappeler celle d’un jeu vidéo, en ce sens qu’elle est en arborescence alors que la construction dramaturgique classique est en entonnoir et mène vers une fin inévitable. Dans ma vie, je sens que c’est l’inverse: elle part du plus petit pour aller vers la dissipation, l’entropie. D’où mon envie de retourner la construction dramaturgique et de renverser les règles. En même temps, pour que le spectateur ne soit pas trop perdu, je respecte les règles classiques dans les sous-histoires.

L’impression d’ensemble est celle d’une liberté maximum…

J’avais envie d’explorer le cinéma en me disant jusqu’où peut-on aller trop loin, et de pousser encore plus loin. J’ai la certitude que le cinéma n’est pas mort: il y a encore des formes à inventer, des formes de narration aussi, mais on n’en est encore qu’au début, il faut chaque fois réinventer.

L’ampleur de la production a-t-elle imposé des compromis douloureux?

J’ai dû resserrer le film entre Cannes et Venise. Pour un financier, le budget, c’est l’argent qu’il a mis dans le film, et il voudrait le récupérer, c’est normal. Pour moi, le budget, ce sont les années que j’ai mises dans le film, et je veux qu’elles aient servi à quelque chose, c’est normal. Il y a des points de vue qui ne se rencontrent pas, et parfois, ça butte. Pour l’instant, je suis content que le film retombe sur des rails: c’est la seule manière qu’il soit sur les écrans de cinéma et qu’il soit vu.

Seriez-vous prêt à renouveler ce type d’expérience?

J’ai plutôt envie de faire des films pas chers. J’écris avec Thomas Gunzig un projet de scénario qui sera beaucoup plus petit. J’ai aussi fort envie de faire des films gratuits sur Internet, d’essayer de trouver un langage qui ne coûte vraiment pas grand-chose et qui, surtout, ne rapporte rien.

J.F. PL.

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