SHARON MAYMON ET TAL GRANIT SIGNENT AVEC THE FAREWELL PARTY UN FILM DRÔLE SUR LE DROIT DE CHOISIR SA MORT.

Parler légèrement des choses graves, et gravement des choses légères. Cette philosophie très british du discours trouve une belle expression dans le premier film israélien à défier le tabou du suicide assisté. Un The Farewell Party (lire critique page 22) que ses auteurs présentent en paraphrasant et en détournant la célèbre chanson des Monty Pythons pour Life of Brian, Always Look at the Bright Side of Life. Le refrain joyeux, interprété par les crucifiés du film, deviendrait donc Always Look at the Bright Side of Death pour les héros du film de Sharon Maymon et Tal Granit. Une bande de vieillards terribles mettant au point une « machine pour mourir en paix » et devenant ainsi hors-la-loi…

Tout a commencé lorsque Granit accompagna son ex-petit ami au chevet de sa grand-mère agonisante. « Son cancer l’avait beaucoup fait souffrir, et quand elle est finalement morte sous nos yeux, nous avons vu à quel point son visage exprimait le soulagement de ne plus souffrir. Elle était libre. Mais le personnel médical est accouru et a tout tenté pour la faire revenir à la vie, multipliant durant une demi-heure des efforts continus pour « sauver » une dame de 90 ans. C’était irréel, absurde! Je leur ai dit: « Mais que diable faites-vous? » Leurs manoeuvres ont échoué, heureusement, mais cette scène d’acharnement insensé m’a marqué profondément. Au point de vouloir faire le film. » Souhaitant trouver un coscénariste, Tal Granit se fit conseiller par des amis de contacter Sharon Maymon (« on m’assurait qu’elle avait le même humour tordu que moi!« , rit-il rétrospectivement). Laquelle adhéra immédiatement à l’idée « d’aborder un sujet grave, controversé, par le biais de la comédie« . « Faire rire les gens est le meilleur moyen d’ouvrir leur coeur et d’obtenir leur attention à ce que vous dites, surtout si ce que vous avez à dire est quelque chose de difficile à entendre« , poursuit Maymon.

Liberté

« Notre film n’est pas un film sur l’euthanasie, mais sur la liberté de vivre sa vie comme on veut, la liberté de la terminer comme on veut, aussi. Au nom de quoi prive-t-on un être humain adulte du droit de choisir?« , interroge la coréalisatrice de The Farewell Party. Eh bien au nom de Dieu, le plus souvent, qui en Israël comme chez nous est pour les croyants celui qui nous donne la vie et qui seul peut décider de son terme… On pourrait donc imaginer que les autorités religieuses locales prendraient ombrage du film et lui apporteraient la contradiction. « Ce ne fut pas le cas, explique Maymon, un des acteurs principaux du film est allé voir son rabbin pour avoir son autorisation de faire le film, et il l’a obtenue sans problème. Vous savez, une grande majorité de la population israélienne est très loin de l’orthodoxie religieuse… » Les réalisateurs ouvrent on ne peut plus clairement leur film sur une scène -hilarante- où un des héros téléphone à une autre pensionnaire de la maison de retraite en se faisant passer pour… Dieu! Une manière d’introduire directement le spectateur au coeur d’une démarche tout à la fois provocatrice et tellement teintée d’humour, d’humanité, que seuls les plus bigots des bigots se cabreront. « De toute façon, sourit Sharon Maymon, les juifs les plus orthodoxes ne peuvent pas aller au cinéma! »

Si la Belgique possède, en matière de fin de vie, une législation assez progressiste, Israël attend toujours qu’une loi consacre un droit que certains tribunaux ont déjà commencé à reconnaître au cas par cas. Le succès de The Farewell Party pourra-t-il faire avancer une cause qui laisse encore trop de politiques frileux? Granit et Maymon n’en jureraient pas, mais sont heureux de pouvoir « introduire dans les esprits quelques graines d’où peuvent germer des interrogations et de la compréhension envers ceux et celles qui même sans l’abri d’une loi font ce qui est humainement juste« .

Dignité

L’universalité du film s’accompagne d’un ancrage certain dans la réalité israélienne. Pour preuve cette « machine pour mourir en paix » directement inspirée de ces « shabbat clocks », systèmes de minuterie permettant aux juifs pieux d’utiliser l’électricité dans leur logis sans avoir à agir directement et ainsi braver l’interdit durant le repos obligatoire du samedi… Un bricolage (refusé par certains rabbins, accepté par d’autres) qui a en lui-même des allures burlesques, confirmant ainsi la validité du regard humoristique porté par des réalisateurs fans de Woody Allen, des Marx Brothers et de Billy Wilder.

« Ce film est une histoire d’amour, d’amitié, bien avant d’être un film sur la mort. Et c’est une comédie noire, bien avant de porter un message, une thèse!« , déclare Tal Granit, qui évoque à l’appui de ses propos le (très)court métrage de quatre minutes déjà coréalisé auparavant avec Sharon Maymon. L’histoire d’un charpentier néophyte constatant que ses collègues ont tous des doigts coupés, synonymes d’escroquerie à l’assurance invalidité… « C’est ça notre style: des sujets à résonance sociale, traités avec humour. » L’effet comique de The Farewell Party est d’autant plus grand que « les personnages ne savent pas qu’ils sont drôles« , et d’autant plus salvateur que rien n’est masqué par ailleurs des souffrances vécues ou à vivre par certains des protagonistes. « Nous avons filmé de manière charnelle les corps qui souffrent mais aussi les corps nus qui vibrent au plaisir, conclut Sharon Maymon, toujours avec honnêteté, toujours avec dignité, cette même dignité au nom de laquelle agissent les protagonistes. »

RENCONTRE Louis Danvers

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