Filippo Meneghetti

"Je fais du cinéma pour vivre d'autres vies que la mienne! Comme un outil de connaissance!" © DR

Son premier film, le bouleversant Deux, doit beaucoup à sa jeunesse cinéphile mais aussi à l’architecture et à… la cuisine.

Il aime comparer la réalisation d’un film à la cuisine. Dans un cas comme dans l’autre, on choisit des ingrédients avec soin, on s’efforce de les équilibrer, avec pour objectif commun de susciter de l’émotion, du plaisir, chez celles et ceux à qui le film/le plat est destiné… Filippo Meneghetti doit être un bon cuisinier, car son premier long métrage, le très émouvant Deux, fait preuve d’un bel équilibre, avec notamment une remarquable retenue face à ses héroïnes, deux femmes d’âge mûr qui ont longtemps caché leur amour avant que les circonstances les obligent à le révéler.  » L’émotion, je ne voulais pas l’imposer au spectateur, je voulais qu’il la gagne, qu’elle devienne la sienne. Elle monte sans pathos, à la fin, au dessert, mais un dessert qui n’accumule pas les couches de chocolat et de crème chantilly empêchant les saveurs subtiles de s’exprimer« , explique le natif de Vénétie, à l’heure où Deux multiplie les présences dans les festivals et va bénéficier d’une sortie dans de nombreux pays.

C’est en découvrant le célèbre film du Suédois Ingmar Bergman Les Fraises sauvages(1) que Meneghetti a  » pris conscience de l’impact extraordinaire que pouvait avoir le cinéma« .  » J’avais 17 ans, un tiroir s’est ouvert dans ma tête pour que je me dise « Waouh! C’est dingue! On peut faire ça? » C’était comme tomber amoureux, je crois… »

 » Faire du cinéma, c’est produire des images qui dégagent, qui expriment plus que des images en soi!« , clame celui dont le chemin vers la réalisation ne fut ni aisé ni rapide.  » Je viens d’une famille où personne n’a rien à voir avec le milieu du cinéma, où personne n’a fait d’études supérieures. J’ai grandi dans une petite ville de province. Rien ne me préparait à prendre la direction que j’ai prise. Et aujourd’hui encore, j’ai du mal à réaliser que je fais ça! » Longtemps, Filippo fut assistant,  » car j’adore être sur un plateau, et je voulais tout apprendre sur tous les aspects de la fabrication d’un film. J’ai été assistant mais aussi ingénieur du son, entre autres. Je me disais: « Si un jour j’y arrive, je connaîtrai les problèmes des gens qui vont travailler avec moi. Du coup j’ai tourné mon premier court métrage à 30 ans seulement, quand j’ai su ce que je voulais raconter et comment je voulais le raconter. »

Intuition

 » Je ne parle pas de moi dans mon film, même si le peintre se cache toujours quelque part dans le tableau… Si Deux DEVAIT être mon premier long métrage, c’est parce qu’il me permet de rendre hommage à des personnes qui ont beaucoup compté dans mes années de formation, qui m’ont transmis la passion du cinéma. L’histoire est inventée, mais proche d’histoires vécues par ces personnes et qui m’avaient à l’époque beaucoup marqué. Je m’étais toujours dit que si j’arrivais un jour à faire du cinéma, je voudrais rendre un peu de ce qui m’a été donné. Cela relevait de la nécessité intime. Raconter quelque chose de ces personnes qui quand j’avais 17-18 ans m’ont fait découvrir tant de films. »

Sensible à la cuisine, le cinéaste l’est aussi à l’architecture, et il place au coeur de Deux  » le dispositif des deux appartements situés l’un face à l’autre, abritant des regards l’amour de Madeleine et Nina, et où se développent des jeux de voisinage, ces jeux de façade où l’on feint d’être voisines alors qu’on est amantes. Le palier entre les deux appartements devient une frontière… Vous savez, je cherche toujours des images, des images qui permettent de parler de ce qui se passe à l’intérieur des personnages. Le dispositif architectural fait cela, les deux appartements deviennent les miroirs de l’âme des protagonistes. Avec ces portes ouvertes ou fermées qui sont l’expression simple et quotidienne de l’histoire. »

Cinq ans ont été nécessaires pour faire aboutir (créativement mais surtout financièrement) le projet Deux. Son réalisateur a quitté l’Italie pour la France,  » à la fois pour des raisons personnelles et aussi parce que le système d’aide au cinéma est bien plus développé« . Pas de calcul cependant dans une démarche qu’il veut  » la moins réfléchie et la plus intuitive possible, toujours« .

 » Je fais du cinéma pour vivre d’autres vies que la mienne! Comme un outil de connaissance!« , s’exclame en riant un cinéaste qui espère  » pouvoir se mettre à la place des autres, comprendre quelque chose des personnages, les regarder avec amour, leur ouvrir ma sensibilité pour la mettre à leur disposition et à celle des actrices ou acteurs qui vont les interpréter« . Filippo Meneghetti aime intensément  » la dimension collective du cinéma, tout ce qu’on apprend des autres en en faisant« . Il aurait pu être écrivain, mais il n’avait pas la  » rigueur mentale » nécessaire à cette forme d’expression. Et puis il apprécie follement  » cette dialectique entre l’idée que vous avez et les idées des autres« .  » C’est tout de même formidable, conclut-il, de pouvoir faire exister quelque chose, un petit monde, physiquement, et de pouvoir partager cet étonnement. Parfois, pendant le tournage de Deux , j’étais au milieu du décor dans le studio, je regardais tout cet appartement qu’on avait créé, et je n’en revenais pas! C’est tellement fou et passionnant à la fois! »

(1) Sorti en 1957, Ours d’Or au Festival de Berlin et Golden Globe du meilleur film étranger, c’est l’histoire d’un vieil homme que le rêve de sa propre mort amène à se confronter au bilan de sa vie.

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