Ulrich Seidl pratique un cinéma radical, choquant pour certains. Son très noir Import Export veut déranger et y parvient…

A rebours extrême du cinéma d’évasion, l’art plus que grinçant d’Ulrich Seidl nous confronte sans faux semblant à une réalité dure et même parfois cruelle. Après le déjà secouant Dog Days, il atteint de nouveaux sommets dérangeants avec Import Export. Cette plongée viscérale dans l’Europe d’aujourd’hui cadre le voyage à l’ouest d’une infirmière ukrainienne et le périple à l’est d’un chômeur allemand. Deux trajectoires visant une nouvelle chance qui ne sera pas forcément au rendez-vous.

Tout comme son compatriote Michael Haneke à ses débuts, Seidl entend faire un cinéma éprouvant pour le spectateur. Non pas pour jouir du choc provoqué par ses images, mais pour éveiller ou réveiller le public à un réel que ce moraliste exigeant peint dans sa plus déprimante et pourtant quotidienne horreur.

SANS COMPLAISANCE

Calme et posé, sobrement élégant, d’une discrétion contrastant avec la férocité de ses plus noires images, le quinquagénaire commente en phrases laconiques ce qui fait sa méthode et le sens qu’il y donne.

Focus Vif: êtes-vous d’accord avec ce que nous déclarait David Cronenberg à l’époque de Crash: « L’art se doit-il d’adopter une attitude de confrontation (vis-à-vis du spectateur) »?

Ulrich Seidl: je ne pense pas que l’art soit là pour confirmer ce qui est déjà clair ou pour embellir quoi que ce soit, mais bien en effet pour poser des questions, pour irriter, pour déranger.

D’où vient ce regard très particulier que vous posez sur le monde à travers la caméra?

J’ai toujours eu ce regard, dès que j’ai commencé à filmer en tout cas. Il a beaucoup à voir avec mes origines, mon enfance, ce qui a fait de moi l’être humain que je suis.

Pourquoi avoir choisi le cinéma comme mode d’expression?

Ce fut un assez long cheminement. Je suis né dans une famille bourgeoise, très catholique où la seule idée d’une carrière artistique était tout simplement impensable. Il m’a fallu du temps pour oser vouloir prendre cette direction. La photographie et la peinture m’ont d’abord intéressé. Puis l’idée du cinéma est venue progressivement. Mais dès le début, l’image comme vecteur d’information sur la réalité m’attirait. A travers un regard dénué de toute complaisance.

Sur ce chemin, des £uvres d’autres artistes vous ont-elles « irrité, dérangé », pour reprendre vos termes vis-à-vis des spectateurs de vos films?

La peinture de Jérôme Bosch, en tout premier lieu. En photographie, rien. Au cinéma, les premiers films de Werner Herzog, certains films de Pasolini. Quand j’emploie les termes « irriter », « déranger », c’est dans une perspective évidemment positive. L’irritation, le malaise, étant appelés à faire voir, à rendre clair, des aspects du réel que l’on n’avait pas vu sous cette lumière auparavant. L’art devient alors un révélateur. Ce qui ne peut être que positif.

D’où vous vient l’idée qui va mener à un film?

D’observations mais aussi de sentiments intimes qui naissent en moi du fait de ce que je vois et entends. Mes films viennent de réactions personnelles face à la réalité, pas d’une quelconque volonté théorique.

Certains cinéastes au propos radical, comme votre compatriote Michael Haneke par exemple, ont choisi de travailler avec des acteurs vedettes, dans un style visuel plus acceptable d’un large public aussi.

Ce n’est pas ma méthode. Je ne suis pas enclin au compromis. Je n’en ai nul besoin économique non plus, puisque je trouve désormais facilement – après une dizaine d’années très difficiles – un financement pour mes films. Des acteurs autrichiens et allemands de renom désirent par ailleurs travailler avec moi. Mais je recherche avant toute chose la plus grande authenticité. Je fais donc tourner des interprètes non-professionnels. La méthode Haneke, très valable pour lui, ne pourrait pas me réussir. Même si je lui envie un peu ses financements français qui lui font beaucoup mieux gagner sa vie (sourire)…

SANS limite ?

Quand vous décidez de filmer les scènes dans le service gériatrique de l’hôpital avec de véritables vieillards malades et pour certains mourants, vous ne pouvez ignorer que des gens seront particulièrement choqués.

Quand je tourne un film, je ne pense pas aux autres. Je ne table pas sur telle ou telle réaction à venir. Ceci dit, je suis conscient que les scènes dont vous parlez peuvent avoir un impact fort. Car elles n’offrent pas de l’illusion au spectateur, mais de la réalité. Une réalité d’autant plus difficile qu’elle nous regarde, qu’elle fait partie de notre vie comme notre mort fait partie d’elle. Face à ces images, on peut être touché. Ou alors manifester son refus par l’agressivité.

Y a-t-il, à vos yeux, une limite d’ordre éthique que vous ne franchiriez pas, même avec de bonnes raisons artistiques?

Oui, car je suis un homme, après tout. J’ai des émotions. Je ne vais par exemple pas filmer des cadavres pour donner une image forte, ni filmer non plus le viol d’un enfant. J’en serais tout simplement incapable.

http://importexport.ulrichseidl.com/en/

ENTRETIEN LOUIS DANVERS

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