Tel un Don Quichotte, Dominique A est reparti seul, en quête de La Musique. Résultat: un nouveau sommet dans une discographie qui n’en manque pourtant pas.

C’était en 92. Dominique A sortait un premier disque, La Fossette, manifeste autarcique, enregistré avec les moyens du bord. Trois fois rien qui allait chambouler le paysage de la chanson française – et pour une fois, ce n’est pas une formule. Près de 20 ans plus tard, l’homme est toujours là. Derrière lui, sept disques studio, et pas un seul à élaguer. Autant être clair tout de suite: La Musique, son nouvel opus, ne fait pas exception. La grande nouvelle? Après avoir multiplié les collaborations, le Nantais, toujours installé à Bruxelles, a bossé solo. Comme à l’époque de La Fossette« Avec une boîte à rythme et un synthé, comme en 40, rigole-t-il. Mais pas les mêmes! » Rencontré dans un café du centre, il explique, détendu et affable, à 1000 lieues de l’image austère qu’il continue encore parfois de véhiculer: « Ce disque, je n’ai pas décidé de le faire seul. C’est en cours de route que je me suis aperçu que c’était un projet solo. Pour la première fois, j’avais un matériel un peu plus développé, avec un home studio numérique de 32 pistes. J’avais bien des appréhensions, étant un peu un âne dans tout ce qui est technique. J’ai mis d’ailleurs 2 mois à comprendre que c’était bien un 32 pistes et pas un 16. (rires). En fait, c’était plus de la paresse qu’autre chose. Finalement, j’ai maîtrisé la machine assez vite et je suis rentré dans un truc de plus en plus poussé. Petit à petit, il n’y avait plus de places pour les autres. Or, en faisant écouter autour de moi, on m’encourageait à ne rien changer, à continuer dans cette direction. C’était la première fois qu’on me disait ça! A partir de ce moment-là, c’est devenu une évidence. »

La man£uvre n’est pas sans effet. L’échappée en solitaire bouscule ainsi la forme. Mais peut-être pas autant que le fond. « Au départ, je me force toujours un peu à travailler avec des gens. Mais si je m’écoutais, je bosserais tout le temps seul. Dans ces moments-là, il se passe des choses qui ne sont pas parasitées par l’écoute des autres. Il n’y a pas la tentative de séduction. Ce qui amène sur des terrains, à la fois limités, mais aussi inédits. Des endroits auxquels on ne peut accéder qu’en solitaire. Surtout dans ce genre de chansons assez… épidermiques, proches de la peau. »

La voie ludique

Un exemple? Le Sens, qui ouvre le disque, chansonnette existentialiste frontale, qui même « écrite avec un sourire aux coins des lèvres », noue la gorge. « C’est une impro. J’avais juste le texte et la trame musicale, mais pas la ligne mélodique. J’ai donc fait un essai, et il s’est avéré que c’était bon. Or, ce genre de démarche, je ne peux pas m’imaginer l’avoir essayé en groupe, sans me dire que j’allais avoir l’air ridicule. D’ailleurs, je n’ai pas souvent chanté des choses aussi frontalement… Ce qui est rigolo, c’est qu’en voulant aller vers l’évidence, j’ai dit des choses que je ne voulais pas dire. Par exemple: « Peut-être y a-t-il encore un sens/Qui attend que j’aille le chercher/Sagement à la maternité. » Littéralement pour moi, c’était l’image du gars qui allait à l’hôpital chercher le sens de sa vie, comme si c’était un objet. Ce n’était pas du tout lié à l’envie de paternité, comme tout le monde l’a évidemment interprété. Ce sont les surprises de l’écriture. De par l’interprétation aussi, je n’ai jamais voulu mettre non plus de pathos particulier. Mais je me rends compte qu’elle touche énormément les gens. »

D’autant que suit alors Immortelles, chanson écrite à la base pour Bashung. Une facette plus luxuriante du disque, mais qui à nouveau fait partir en vrille le palpitant. Et on est à peine à la deuxième chanson de l’album… Tout, heureusement, n’engage pas la même intensité. Des étendues, par exemple, choisit la voie ludique, presque à la Gainsbourg. « C’est le première fois qu’on me le dit, et je suis complètement d’accord. En fait, j’avais envie de plagier les gens qui plagient Gainsbourg. Je pensais à Air notamment, des trucs de ce genre. Il y a là quelque chose de cotonneux que je trouve insupportable sur la longueur d’un disque. Un truc de retrait, hors du monde, qui dans ces musiques-là me fait peur. Alors que je suis le premier à dire que la musique est une échappatoire. Mais des fois cela me semble tellement détaché du plancher des vaches… Est-ce que ces gens éprouvent quelque chose véritablement? Je ne doute pas que oui, mais leur musique fait parfois penser le contraire. »

Plancher des vaches

Boulimique culturel – « j’achète des disques ou des bouquins tous les deux jours: c’est mon seul luxe » -, on aurait pu imaginer que Dominique A cherche parfois lui-même à se débiner, à se réfugier dans l’imaginaire. Pas trop le genre pourtant. D’ailleurs le plancher des vaches, il l’évoque dans La fin d’un monde. Lequel? Le monde rural en l’occurrence, qu’il parcourait gamin, lors des grandes vacances à la campagne, en Bretagne. « J’y ai vu l’ambiance changer: des villages qui meurent, des commerces qui ferment, des bords de rivières désertés alors qu’avant il y avait plein de pêcheurs du dimanche. L’impression d’un monde qui glisse, qui n’était pas encore si éloigné du monde du 19e, et qui en 30 ans a basculé complètement. En même temps, je chante qu’il faut passer à autre chose et « s’occuper des prochaines secondes ». Il y a la volonté de ne pas se complaire dans la nostalgie. »

On ne peut s’empêcher toutefois de penser que clôturer un disque, baptisé La Musique, par une chanson intitulée La fin d’un monde, n’est pas tout à fait anodin… « La Musique , c’est tellement gros qu’il n’est évidemment pas question de se mettre à la hauteur du titre. il s’agit plus de revendiquer une quête. La musique reste le but à atteindre, l’horizon… »

Quant au reste, à l’éventualité que la fin d’un monde soit aussi celle du disque… « C’est clair que le coup d’Internet, ça ne passe pas. Ça ne cadre pas avec ma pratique. Parce que je n’ai pas 15 ans, je n’ai pas cette habitude. A un moment donné, je dois tenir quelque chose dans les mains. J’ai même besoin d’anticiper sur l’objet à venir pour penser la musique elle-même. Quand j’étais gamin, faire un disque représentait quelque chose d’extraordinaire. Et encore aujourd’hui. » l

Dominique A, La Musique, distribué par Bang!

En concert le 20/10 au Botanique à Bruxelles, et le 1er mars 2010 à la Maison de

la culture de Tournai.

Entretien Laurent Hoebrechts

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