LE CINÉASTE ITALIEN DANIELE LUCHETTI SIGNE AVEC ANNI FELICI UN FILM ADMIRABLE, ÉMOUVANT, SUR L’ART ET SUR LA FAMILLE, SUR UNE ÉPOQUE AUSSI.

Il s’était révélé au tournant des années 80 et 90, avec la Caméra d’Or de Domani accadrà et le succès de sa satire politique Il Portaborse. Depuis son retour à la fiction après quelques documentaires, Daniele Luchetti s’affirme comme l’une des grandes voix du cinéma italien. Mio fratello è figlio unico (2006) et Nostra vita (2010), une chronique de la vie de deux frères sur fond d’engagement gauchiste et néo-fasciste, et une évocation poignante du deuil et de la résilience, annonçaient l’heure d’une maturité créatrice rayonnante. Anni Felici confirme en beauté, trouvant le ton juste et l’émotion palpable pour narrer une enfance et un passage à l’adolescence dans les années 70, sur fond de conflit familial et de questionnement sur l’art et la société. Luchetti s’est inspiré de ses propres jeunes années (il est né en 1960) pour réussir cette oeuvre lumineuse.

« Ma famille est la source du film, même si l’histoire et ses développements relèvent presque totalement de la fiction, explique le cinéaste. De l’invention narrative, mais appuyée sur des personnages profondément ancrés dans ma mémoire réelle. » Une des qualités frappantes d’Anni Felici est son naturel, sa fluidité, comme s’il était venu d’une évidence très claire. « Les premiers éléments menant vers le film, je les ai écrits voici 20 ans déjà, réagit Luchetti, mais je n’étais jamais arrivé à en tirer une histoire. Quand j’ai montré (il y a deux ans) ce que j’avais à ma coscénariste Caterina Venturini, qui est jeune et avec qui je travaille depuis peu de temps, elle m’a fait la remarque suivante: « Dans ces 50 pages où tu évoques ta famille, en créant une espèce de mythologie familiale complexe, ni toi ni tes parents n’apparaissent… » Ses mots furent le déclic. Soudainement, je me suis aperçu que j’avais évité d’aborder l’essentiel, que je m’étais -inconsciemment- autocensuré. Je me suis dès lors mis à écrire sans effort, tout me venait naturellement, comme si au fil des années le film s’était fait de lui-même dans ma tête, avait mûri au point que je n’avais plus qu’à laisser sortir les mots, les images. Tout était devenu facile et l’est resté… jusqu’au montage. Ce dernier m’a pris un an! Je crois que mon rapport à ce film était si fort, si personnel, que je n’avais au fond pas envie de m’en détacher, de le laisser partir vivre sa vie sous le regard des autres… »

Cosa artistica, cosa politica

Cette décennie 1970 durant laquelle est situé le film, Daniele Luchetti l’identifie aux « années de l’idéalisme, d’un immense désir de liberté, de réinvention, touchant à la fois la vie quotidienne, l’art, la famille, la politique« . Ce fut, dit-il, « la dernière et brève période où l’Italie a cru pouvoir devenir meilleure, avant qu’éclate le terrorisme (dès 1974) puis que la chute du mur de Berlin marque la fin de l’opposition entre système capitaliste et système communiste. Avant aussi que Berlusconi n’arrive et ne séduise, en s’identifiant à lui, un pays fatigué d’idéologie…  »

A travers le personnage d’un père peintre et sculpteur, pratiquant le happening, Anni Felici traite la question de l’art et de ses rapports avec le monde, la société. « En Italie, l’art et la politique ont toujours entretenu des rapports intenses, commente Luchetti. C’est structurel, chez nous, dans un pays toujours traversé d’oppositions: les guelfes contre les gibelins(1), le nord contre le sud, les fascistes contre les communistes, puis les catholiques contre les communistes, la Lazio contre la Roma(2)… Dans ce contexte, l’art s’explique aussi par la politique. Un réalisateur réussit à tourner plein de films, c’est politique. Un peintre n’obtient aucun succès, c’est politique. Un chanteur en a plein, au contraire, c’est encore et toujours la politique! Evidemment, c’est bien commode et ça évite de se regarder en face, de se remettre en question. Elle a bon dos, la politique! »

Le cinéaste prend le parti d’en rire, mais son film n’en vibre pas moins d’une émotion subtile, notamment quand on y voit un jeune garçon (lui, d’évidence) découvrir son désir de filmer avec une petite caméra Kodak à chargeur. « Le cinéma est désirable parce que la pellicule est sexy!, s’exclame Daniele Luchetti, la peau est bien plus belle sur film qu’en digital… » La peau, mais le coeur et l’esprit, aussi, sont à la fête dans Anni Felici, oeuvre à la fois intime et reflétant une époque où tout semblait possible.

(1) FACTIONS MÉDIÉVALES SE LIVRANT UNE LUTTE ARMÉE.

(2) LES DEUX ÉQUIPES DE FOOTBALL RIVALES DANS LA CAPITALE.

RENCONTRE Louis Danvers

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