FESTIVAL DE DÉCOUVERTES RÉSERVÉ AUX ARTISTES EUROPÉENS ET DESTINÉ AUX PROFESSIONNELS, EUROSONIC, C’EST UN PEU LE SOUTH BY SOUTHWEST DE GRONINGEN. UN SUPERMARCHÉ DU CONCERT ET L’OCCASION DE FAIRE UN PETIT TOUR EN MUSIQUES FRAÎCHES D’UN VIEUX CONTINENT PRÊT À DÉFENDRE SES CULTURES.

36 scènes, 337 groupes. Eurosonic affiche fièrement les allures d’un South by Southwest hollandais. Une grande foire aux bestiaux de la musique arpentée par tout ce qu’elle compte de gens du métier. Les labels et tourneurs tentent d’y placer leur cheptel. Les programmateurs viennent y faire leur annuelle pesée… La pluie, elle, remplace le soleil texan. La grande particularité de ce festival de showcases, c’est qu’il n’invite que des groupes européens. Un petit peuple d’irréductibles Gaulois, en somme, qui résisteraient à l’envahisseur: l’hégémonique industrie américaine de la musique. Petit guide géographique de ce qui s’est fait de mieux lors de ce 28e Eurosonic.

Irlande

L’Irlande de la musique, ce n’est heureusement pas que U2, les Cranberries et les Corrs… C’est aussi les Undertones, My Bloody Valentine et (euh) Therapy? Le tour manager des Strypes n’est autre que le père du batteur. Mais vous pouvez le féliciter: il est peut-être en train de surveiller de près son fiston, mais il a aussi, surtout, forgé l’éducation musicale (et elle est déjà riche) de ces jeunes garnements. Sacrément bons musiciens, les Strypes ont donné leur premier concert lors d’une fête de Noël dans leur école. Ils ont entre 16 et 18 ans et font dans le bon vieux rock à l’ancienne. Il y a du Rolling Stones, du Dr Feelgood, du Eddie and the Hot Rods chez les quatre gamins de Cavan, petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants plantée à proximité de l’Irlande du nord. Ces kids fringués comme des princes qui ont ouvert pour les Arctic Monkeys lors de leur dernière promenade dans les arbres de Forest comptent Roger Daltrey, Paul Weller, Jeff Beck et Noel Gallagher parmi leurs fans et ont confié leur destinée à Rocket Music Management, une boîte appartenant à sir Elton John. Le concert des Strypes au Botanique est passé de La Rotonde à l’Orangerie. On ne serait pas étonné de les voir s’ajouter à l’affiche de Werchter.

Méchamment burné, fabuleusement sauvage et anxiogène, Girl band, ce serait plutôt pour le festival de Dour. Girl Band, c’est la claque de cet Eurosonic. Les quatre Dublinois vocifèrent un post punk noisy expérimental et hurleur aux relents de The Fall voire à l’occasion de McLusky… Leur reprise du Why They Hide Their Bodies Under My Garage? de Blawan, c’est un peu comme si les Liars revisitaient du LCD Soundsystem. Ils seront sur les routes européennes en juin.

Belgique

La délégation, particulièrement celle du plateau flamand, avait fière allure cette année, et les Belges ont fait mieux que se défendre dans les clubs de Groningen. Ils semblaient même la plupart du temps une bonne guitare au-dessus de la mêlée. Flying Horseman (en groupe, pas en solo) a bluffé le Plato, un magasin de disques bien achalandé, espèce de Caroline local. Avant qu’en soirée, son leader, Bert Dockx, fasse parler ses talents de gratteur avec Dans Dans. Tout en délicatesse, la chanteuse et flutiste bruxello-carolo Mélanie De Biasio a de sa voix gracieuse et de ses airs mutins charmé un coffee-shop -ceux où on boit, pas ceux où on fume: on est aux Pays-Bas mais quand même. Tandis que dans un Magic Mirror qui lui seyait bien au teint, Bed Rugs a prouvé qu’il était dans le peloton de tête du psychédélisme européen. Les deux Gantois de Madensuyu ont encore fait parler leur force de frappe devant un parterre de programmateurs français convaincus d’avance.

Autriche

Chaque année, outre une aussi imposante qu’encombrante colonie d’artistes hollandais (la journée de samedi intitulée « Noorderslag » leur est réservée, ce qui fait fuir la plupart des professionnels étrangers, nous compris), Eurosonic met un pays à l’honneur. Après les… Pays-Bas, l’Irlande et la Finlande, c’était cette fois à l’Autriche d’envoyer des groupes par camions boire de la Grolsch et enjamber les canaux. L’occasion de s’écarter des sentiers trop souvent battus et des enjeux purement commerciaux dans lesquels a tendance à s’engouffrer le festival de showcases. Cette évasion, T-Shit en est un bel exemple. Composé d’un impressionnant contrebassiste, d’un guitariste électrique et d’un batteur, T-Shit crée un univers franchement cérébral et parfois difficile à suivre au point d’en perdre le fil, mais mitonne une étrange et plutôt passionnante musique improvisée. Les seuls autres Autrichiens intéressants à avoir croisé notre route (oubliez Hella Comet) sont les énervés de Sex Jams et leur rock noisy qui font les belles heures de l’underground viennois. Malgré la voix parfois franchement limite de leur chanteuse, une blonde hyperkinétique qui pourrait faire des concours d’aérobic avec Lovefoxxx de CSS, Sex Jams tire plutôt bien son épingle (à nourrice) du jeu.

France

Même si Fauve, qui a déclaré forfait en dernière minute suite au »séjour improvisé de l’un des siens à l’hosto« , a fait des efforts et a traduit son message Facebook d’annulation en néerlandais grâce à Google translation, il est légitime de douter de la capacité du collectif à traverser les frontières linguistiques. Peut-on exporter dans toute l’Europe des groupes qui chantent en français? Et pourquoi pas, dans le fond? Les gamins de La Femme ont d’ailleurs fait parler d’eux jusque dans les colonnes du mensuel britannique Mojo.

Originaires de Perpignan, Lio et Marie Liminana, nom de scène The Liminanas (le 14 février au Trix, Anvers), jouent eux dans la cour d’un psychédélisme garage yéyé. Serge Gainsbourg vs Velvet Underground vs Ennio Morricone. Le tout signé chez Trouble in Mind (Fresh and Onlys, Fuzz…). Ça se bouscule devant l’entrée. Cette année, les Français pouvaient se targuer d’une programmation plus intéressante qu’à l’accoutumée. Plus intéressante et plus audacieuse aussi. Les Bleus ont même envoyé un poulain de l’écurie Born Bad Records. Evitons les superlatifs capillaires: Cheveu (qui sortira son troisième album, Bum, le 4 février et débarquera avec Scorpion Violente à l’Atelier 210 le 28 du même mois pour fêter ça), c’est le crachat punk et les mollards électroniques dans le garage sur des mécaniques électriques et synthétiques. T’es Bad, t’es In…

Suisse

Certains se rendent à Eurosonic les mains dans les poches et les oreilles vierges. D’autres ont bien préparé, tout écouté et leur timing est minuté -au nombre de groupes vus, Paul-Henri Wauters du Botanique étant sans doute « The most hardworking guy of the festival ». En attendant, le networking à Groningen tourne à plein régime. Chez nos voisins suisses où on n’a pas souvent l’occasion de consommer local, le mot d’ordre, c’est envoyer tout le monde voir The Animen. Il y a du Libertines, du Doherty et quelques pincées de soul (tous plus présents sur leur disque, Hi!, qui s’ouvre avec un titre à la Otis Redding), du Strokes, du Spinto Band, du Hives et une volonté de filer droit au but chez ces quatre sympathiques Suisses. Chansons poppy, mélodies catchy et énergie contagieuse… Le cocktail est enivrant. Un peu décalés, les Animen (contraction d’homme et d’animal) ont foutu le sourire plein de dents de leur batteur sur la pochette de leur premier album. « Ce qu’on peut attendre d’un événement comme celui-ci en tant que groupe? C’est difficile à dire, répond leur manager. Regarde, pas plus tard qu’hier, le chanteur Théo râlait qu’un mec dans les premiers rangs n’arrêtait pas de chipoter à son téléphone pendant le concert. Or ce type était en train de me confirmer qu’il voulait les faire jouer chez lui…  »

Serbie

N’étant plus affiliée au bloc de l’Est depuis 1948 et la rupture entre Tito et Staline, la Yougoslavie a toujours été plus ouverte aux cultures occidentales que nombre d’autres pays communistes. Le rock serbe possède ainsi une histoire insoupçonnable et insoupçonnée sur laquelle Repetitor pourrait vous ouvrir les oreilles. Repetitor, c’est un mec et deux filles (guitare/basse/batterie) qui se sont mis à faire de la musique il y a pratiquement neuf ans maintenant. Un trio qui chante, gueule, hurle, éructe en serbe avec hargne et violence. En 2011, ces Sonic Youth de Belgrade (pour faire court) ont réalisé une mini-tournée au Kosovo, devenant le premier groupe serbe à jouer à Pristina depuis douze ans (une vidéo d’une vingtaine de minutes est disponible sur le Net). Leur dernier album, Dobrodosli na okean, publié fin 2012, donne une bonne idée de ce que valent ces jeunes énervés.

Italie

Eurosonic, c’est souvent une histoire de rendez-vous manqués. De groupes qui avaient l’air pas mal et même plutôt bien sur YouTube mais qui en live sonnent tout pourri. Et d’autres dont vous ne verrez jamais le concert. Trop loin. Trop de monde. Trop de file. Tant pis pour Luca Sapio, soulman italien blanc proche de l’écurie Daptone. Et d’ailleurs produit par Thomas Brenneck (Menahan Street Band, Budos Band, les Dap-Kings de Sharon Jones…). His Electro Blue Voice, qui se produisait la veille au Magasin 4, n’est pas non plus sans référence. Il avait sorti quelques singles et EP notamment chez Sacred Bones. Il est aujourd’hui signé sur le label Sub Pop. Et évite soigneusement de faire dans la dentelle. Que ce soit dans le son ou le titre de son album, Ruthless Sperm pour les intimes. Les Transalpins aiment les déflagrations sonores et elles le lui rendent plutôt bien.

Grèce

Signé par le label new-yorkais DFA co-fondé par James Murphy (LCD Soundsystem), Larry Gus, Panagiotis Melidis pour les autorités, est un chanteur, producteur et multi instrumentiste grec gentiment givré. Aussi fan de samples que les Australiens de The Avalanches dont on attend depuis quinze ans le deuxième album, ce fan d’Albert Ayler, Creedence Clearwater Revival et Black Dice bidouille des chansons où se bousculent soul, disco et psychédélisme. Pour son dernier album, Years Not Living, il aurait préparé une bibliothèque de 4000 sons. La bête serait profondément marquée par Anima Latina, disque culte de Lucio Battisti. C’est que Larry Gus, beatmaker psychédélique et jouette, habite désormais à Milan. Seul sur scène, il jongle avec les sons et les instruments pour un résultat coloré, anarchique et kaléidoscopique. Un drôle de Gus, ce Larry.

Angleterre

A côté des grosses machines comme l’insupportable Sam Smith, le gentil George Ezra, Royal Blood (une espèce de Muse piqué aux amphétamines) ou Jungle (assurément le plus intéressant du lot avec sa funk touch) -tous les quatre faisant partie des quinze artistes qui feront le son de 2014 selon la BBC-, la Perfide Albion a eu la bonne idée d’envoyer par-delà la Mer du nord les Londoniens de The Hypnotic Eye (un nom choisi en référence à un film d’horreur culte de 1960 réalisé par George Blair). Les petits côtés irritants du disque (comme la voix de sa chanteuse) deviennent des atouts sur scène pour ce quintet nourri au garage rock sixties et aux compiles Nuggets. Fans de Phil Spector, Joe Meek et Brian Wilson, The Hypnotic Eye balance. Sans doute pas le groupe le plus excitant du Royaume-Uni mais une timide et honorable réponse anglaise à la scène rock californienne.

TEXTE Julien Broquet, À Groningen

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