À 25 ANS, LA BELGO-AMÉRICAINE SORT UN PREMIER ALBUM ROCK D’UNE ÉTONNANTE MATURITÉ. FILLE DU GUITARISTE BLUES CHRIS WHITLEY, TRIXIE A DE QUI TENIR…

Pull à col roulé blanc crème, coupe garçon décolorée, peau diaphane: si ce n’était son rouge à lèvres, Trixie Whitley pourrait presque se fondre dans le décor du jour. En l’occurrence, les jardins enneigés du Bijloke, l’ancien hôpital médiéval gantois, reconverti en centre culturel. Basée aujourd’hui à New York, la jeune musicienne (elle n’a que 25 ans) est en terrain connu. C’est ici, à Gand, qu’elle a grandi. « Je suis à moitié belge, j’ai vécu dix ans ici. Mais je ne me suis jamais sentie chez moi. J’ai débuté ma vie à New York, j’y habite aujourd’hui. C’est là que je me sens le plus à la « maison », peut-être parce que… personne ne vient vraiment de là » (rires). Elle l’explique dans un flamand fluide et on ne peut plus naturel, à peine ponctué de l’un ou l’autre anglicisme.

La généalogie n’explique pas tout. Dans le cas de Trixie Whitley, il est pourtant difficile de passer à côté. Du côté maternel, elle est la fille d’Hélène Gevaert, musicienne gantoise. Son oncle Alan Gevaert est bassiste, notamment chez dEUS. Une famille d’artistes francophones bohèmes, peintres, écrivains, musiciens, qui remonte au moins jusqu’à l’arrière grand-père, le sculpteur George Minne. Au début des années 80, la mère de Trixie tourne avec Chris Whitley, guitariste blues américain exilé alors en Europe. Coup de foudre, romance fulgurante. Trixie grandit aux Etats-Unis, avant de revenir en Belgique, quand ses parents se séparent. Elle a 7 ans, et déjà la musique est partout, tout le temps. « Je ne me rappelle pas d’un seul moment où il n’y en avait pas. On en parlait, on en jouait. C’est un prolongement de moi. Je n’ai jamais voulu autre chose. «  Il y a d’abord la batterie. « J’avais 10 ans. On était chez un ami de la famille. Ils étaient en train de jammer. A un moment donné, ils m’ont dit de me mettre derrière la batterie, et c’était parti! J’ai trouvé ça tellement génial. C’est comme si j’avais trouvé mon meilleur ami. Comme si soudainement, j’avais trouvé le moyen de communiquer. Cela a été mon premier grand amour.  »

La bohème

A 11 ans, Trixie Whitley se retrouve donc derrière les platines et mixe aux soirées Eskimo ou lors de vernissages au Smak, le musée d’art contemporain gantois. Plus tard, elle monte également sur les planches et se retrouve à tourner à travers l’Europe avec les Ballets de la C. L’été, pour les vacances, elle retrouve son père, l’accompagnant sur les routes. Le genre d’errances et de vie nomade qui ne doit pas toujours être facile à gérer pour une ado, lui fait-on remarquer. « Non, au contraire, j’en suis très reconnaissante. J’en avais besoin. Je n’ai jamais été quelqu’un qui arrive à s’exprimer dans les normes. La musique m’a donné une manière d’exister dans ce monde, sans ruminer en permanence. Elle m’a permis d’être moi-même, sans devoir me mouler dans une identité qui ne me correspond pas. « 

A 25 ans, Trixie Whitley l’autodidacte -elle n’a jamais intégré d’école de musique- traîne donc déjà de solides bagages. Comme un premier album jamais sorti (« j’avais signé avec Sony, ils ont toujours les bandes, mais n’ont jamais voulu le sortir ») et un autre qui a bien vu le jour celui-là: le projet Black Dub, sorti en 2010, monté par Daniel Lanois, musicien-producteur pour U2, Bob Dylan, Peter Gabriel… « Le fait de bosser avec des gens tellement expérimentés m’a énormément appris! D’ailleurs, je suis toujours en train d’absorber. Pas seulement au niveau de la musique, mais aussi d’un point de vue humain. Daniel est quelqu’un d’incroyable, je l’adore. En bossant avec lui, j’ai pu observer des choses très belles, et d’autres qui le sont un peu moins, que je préfère faire autrement… » Par exemple? « Je pense que c’est important de trouver une certaine stabilité, un équilibre émotionnel. Si vous vivez uniquement pour votre boulot, au moment où ça foire, vous vous écroulez. Vous devez pouvoir prendre de la distance. »

L’ombre du père

On ne peut s’empêcher de voir dans ces propos un écho au parcours paternel. Un itinéraire cabossé entre moments de gloire éphémères et galères récurrentes, à devoir jouer parfois dans la rue pour survivre. Des hauts et des bas que Chris Whitley semble avoir traversés avec une intensité qui laisse rarement indemne. Atteint d’un cancer des poumons, il décédera en 2005, âgé d’à peine 45 ans. Trixie n’évite pas les questions, mais le sujet reste évidemment sensible. Et marquant -au figuré comme au propre, les poignets de la musicienne étant chacun tatoué d’une phrase de son père, tirée de l’une de ses nombreuses lettres.

Pour Fourth Corner, son premier album solo sorti ces jours-ci, Trixie Whitley a travaillé en petit comité, sans faire appel à Daniel Lanois –« c’était important de réaliser quelque chose par moi-même, sans l’ombre de Daniel ou celle de mon père. Je ne voulais pas être liée à eux jusqu’à la fin de ma vie. «  Le disque frappe par la maturité de sa jeune auteure. Vocale notamment, mais pas seulement. Parfois à des années-lumière des préoccupations musicales que l’on prête généralement à sa génération, Trixie pond des morceaux rock US adultes, longs en bouche. Maîtrisés aussi, parfois presque trop. Comme si, d’avoir vu son père se consumer pour son art, elle avait appris elle-même à se méfier, à ne pas trop jouer avec le feu de peur de s’embraser complètement. Fourth Corner s’essaierait donc à la quadrature du cercle: plonger à corps perdu dans sa passion sans s’y perdre complètement. « Le processus créatif n’est pas qu’une longue promenade au parc », sourit-elle. Elle en sait quelque chose…

TRIXIE WHITLEY, FOURTH CORNER, DISTRIBUÉ PAR NEWS. EN CONCERT E.A. LE 09/03, À L’AB (COMPLET), ET LE 20/07, AU GENT JAZZ FESTIVAL.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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