Esprit libre

© Alejandro Ayala

Angel Bat Dawid sort un magnifique premier album free jazz, enregistré seule, sur son téléphone. Les deux pieds sur terre, la tête dans les étoiles.

La notion de genre veut-elle encore dire quelque chose? À partir du moment où les styles musicaux multiplient les croisements, rattacher un artiste à une seule étiquette a-t-il encore un sens? Non pas que The Oracle, le premier album d’Angel Bat Dawid, sème la confusion: il n’y aura sans doute pas grand monde pour le classer ailleurs que dans le bac « jazz ». Mais sans doute, serait-il encore plus pertinent de le décrire à partir de sa finalité. Il y a des disques conçus pour danser, d’autres pour réfléchir, ou s’échapper. La fonction de The Oracle est, elle, de guérir. C’est en tout cas comme cela que le présente Angel Bat Dawid. Ambitieux? Ce qui est certain, c’est que The Oracle vient bien de cet endroit rare, hyper intime et personnel, où la création se suffit à elle-même, libre et dénuée de tout enjeu, sinon celui de l’authenticité. Un territoire où le musicien se retrouve seul, face à lui-même, profitant de ce vertige pour fondre le beau et le vrai.

Space is the place

La semaine dernière, Angel Bat Dawid a célébré la sortie de son album, en lançant la construction d’un  » vaisseau spatial sonique mythologique« , baptisé Mothership 9. Une référence évidente à l’afrofuturisme incarné par le funk de Parliament, et, surtout, les expérimentations free jazz de Sun Ra. Viser l’espace pour fuir l’aliénation, c’est un peu ce que racontait ce dernier;  » What it means to be a captive in this dark skin« , chante de son côté la musicienne, reprenant d’une voix d’opéra un texte de la poétesse Margaret Taylor-Burroughs ( What Shall I Tell My Children Who Are Black).

Esprit libre

La clarinettiste de formation ne plane pas pour autant dans l’espace. Une question d’itinéraire personnel sans doute, qui l’a souvent ramenée sur la terre ferme. À 22 ans, Angel Elmore de son vrai nom était opérée d’une tumeur au cerveau. Une intervention qui l’obligera à laisser tomber ses ambitions musicales pour trouver un job qui lui permette de rembourser ses frais d’hôpitaux. Ce n’est que douze ans plus tard, en 2014, qu’elle quittera son boulot, et récupérera les sous de son épargne-pension, pour se consacrer à nouveau entièrement à sa passion.

C’est à cette occasion qu’elle découvre la communauté jazz de Chicago, son dynamisme, sa cohésion, son ouverture. De cet élan collectif, elle va tirer une nouvelle force. Au départ, The Oracle devait d’ailleurs être interprété en groupe. Il a en effet été conçu à partir des enregistrements préparatoires qu’Angel Bat Dawid avait prévu de confier à ses musiciens. C’est le label qui décidera de les sortir tels quels. Hormis Capetown, avec le batteur sud-africain Asher Simiso Gamedze, tous les autres morceaux ont été entièrement composés, joués et enregistrés par Angel Bat Dawid, sur son téléphone… Aussi « lunaire » (le vibrant We Are Starzz) ou spirituel ( Impepho, Destination) soit-il, l’album garde ainsi en permanence un côté terrestre ( London, dont le piano est celui du logement Airbnb, dans lequel elle a séjourné à Londres), hurlant ( Capetown), craquelant même sur le morceau-titre. Avec pour résultat un disque où le cosmos reste peut-être encore lointain, mais où l’air ici-bas a déjà pris une autre épaisseur…

Angel Bat Dawid

« The Oracle »

Distribué par International Anthem.

8

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