AVEC SON DEUXIÈME ALBUM, INTITULÉ BLOOD, L’ANGLAISE LIANNE LA HAVAS TRANSFORME LA LÉGÈRETÉ FOLK-SOUL DE SES DÉBUTS EN DISTINCTION POP, SOLAIRE ET ÉLÉGANTE. PRÊTE AU DÉCOLLAGE?

Bruxelles, côté de Brouckère du piétonnier. Chemisier blanc à fines rayures bleues, jupe qui descend jusqu’à des semelles plateformes, Lianne La Havas est attablée à la terrasse du Métropole. La conversation a démarré sur le succès de son premier album… « D’abord, je ne suis pas si connue que ça. J’ai un public, c’est vrai. Mais je peux me balader en rue et faire ce que je veux. » Quelques minutes plus tard, pourtant, deux fans la reconnaissent. Photos de circonstance, blabla express. Pas si connue que ça, vraiment?…

Soyons de bon compte: Lianne La Havas n’a pas complètement tort. C’est vrai que l’Anglaise ne fait pas (encore) la Une des tabloïds. A pas mal d’égards, elle se trouve même à un endroit rêvé: plus vraiment anonyme, mais pas encore star; bénéficiant de l’appui d’une major, mais sans la pression des tout gros vendeurs. Avec son premier album folk-soul sorti en 2012, intitulé Is Your Love Big Enough?, la jeune femme a quand même réussi à écouler quelque 200 000 disques, s’est retrouvée nominée pour plusieurs prix qui comptent (Mercury, Novello), en a même remporté un (Album de l’année des iTunes awards)… Et puis, il y a la caution Prince. Après avoir repris l’un de ses titres sur scène et l’avoir invitée chez lui, à Paisley Park, Sa Majesté pourpre a ajouté Lianne La Havas au générique de l’un de ses deux derniers albums (Art Official Age), lui a même demandé de le rejoindre sur le plateau du Saturday Night Live. Et quand, en janvier 2014, il a démarré une nouvelle tournée à Londres, c’est dans le salon de La Havas que Prince invita la presse…

A 25 ans, à l’heure de sortir son deuxième album Blood, Lianne La Havas a donc un beau coup à jouer. Elle le sait. Sa firme de disque encore plus, qui lui a remis dans les pattes un team de producteur/auteurs reconnus -de Paul Epworth (Adele, Florence + The Machine…) à Jamie Lidell en passant par Howard Lawrence (Disclosure). Cela n’empêche pas la principale intéressée de (co)signer neuf des dix nouveaux titres. « J’écris tout le temps. C’est ce que je faisais avant et continue de faire aujourd’hui. C’est l’endroit où je suis la plus personnelle, où je peux livrer ce qui est le plus proche de moi. De toute façon, je ne peux pas envisager la musique autrement que comme quelque chose d’intime. Même quand vous chantez des mots qui ne sont pas les vôtres, vous les raccrochez à des situations que vous avez vécues pour leur donner le poids nécessaire. » Malgré cela, il n’est pas interdit de trouver Blood très (trop) maîtrisé, canalisé, voire cadenassé -y compris quand il quitte le terrain favori de la ballade, pour s’électriser un peu (Never Get Enough). Ce qui passait pour de la frilosité sur le premier album sonne cependant ici davantage comme une certaine élégance, une distinction, reposant en grande partie sur le velours vocal profond de la jeune femme.

Code couleur

Il y a en effet des vertus à la ligne claire, des qualités à ce blanc laiteux dans lequel semble flotter la musique de La Havas -pas vraiment soul ni folk, vaguement jazzy… Comme une espèce de terrain neutre, qui empêche toute catégorisation définitive pour celle qui est née d’un père grec et d’une mère d’origine jamaïcaine…

Officiellement, Blood parle d’ailleurs en grande partie de ça: des liens, du métissage, de l’héritage familial, et de ce qu’on en fait. L’histoire de l’album commence ainsi par un trip en Jamaïque. « C’était la première fois que j’y allais. La première fois aussi que je partais en vacances avec ma mère, qui ne s’était plus rendue sur place depuis ses 25 ans. Du coup, c’était un voyage émotionnellement très chargé… J’ai pu rencontrer toute une partie de ma famille que je n’avais jamais vue. Ce fut assez remuant. Mais cela m’a permis de me sentir plus « complète ». Gamine, je partais souvent en vacances en Grèce dans la famille de mon père. D’avoir pu explorer désormais l’autre « partie » de mes racines m’a donné le sentiment de me connaître mieux. Au final, je me sens autant grecque que jamaïcaine. »

Tiens, tant qu’à faire, on la prend au mot en tentant de la lancer sur le Grexit. Un coup dans l’eau. « Hmmm, je pourrais vous donner mon opinion, mais je ne préfère pas. Too political (rires)! » La jeune femme est plus volubile sur la « question » raciale. En juin dernier, elle se retrouvait à l’affiche du festival Afropunk, organisé pour la première fois en Europe, à Paris. Plutôt une bonne expérience, même si elle n’est toujours pas certaine de savoir pourquoi elle y a été invitée… « Est-ce parce que je suis brown (sic)? J’y ai passé vraiment un chouette moment, mais c’était quand même étrange de se retrouver au milieu d’une affiche uniquement composée de musiciens de couleur. » L’idée de base d’Afropunk est de montrer que les genres musicaux ne sont pas liés aux races, que ce n’est pas parce qu’un musicien est noir qu’il doit forcément faire du rap ou de la soul. Cela doit lui parler, à Lianne La Havas, elle que le picking de guitare folk place à des années-lumière des déhanchements r’n’b. « Oui, je comprends le principe. Mais cela reste étrange. Je vous l’ai dit, je me sens pareillement reliée aux deux côtés de ma famille. Mais parce que mon apparence extérieure est dominée par le brun, cela pose des questions. Comment me voit-on? Comment voit-on les métis en général? Pourquoi les ramène-t-on au terme « black »? Je ne peux pas être d’accord avec ça! Ce n’est qu’une partie de moi. Beaucoup de métis ont le sentiment qu’ils doivent choisir. Pourquoi ne pourrait-on pas juste être ce que l’on est? »

LIANNE LA HAVAS, BLOOD, DISTRIBUÉ PAR WARNER.

EN CONCERT LE 24/11, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

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RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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