Épisode 5: la crème solaire

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Avant de se ruer avec enthousiasme en direction de la mer, tout plagiste qui se respecte accomplit une opération faisant froncer du nez les écologistes: s’enduire le corps de crème solaire. Même s’il semblerait que les premiers signes de cette habitude remonte à l’Égypte ancienne, ce n’est que dans l’entre-deux-guerres que des produits spécifiques ont été commercialisés pour répondre aux attentes nouvelles. En 1923, Shiseido, au Japon, mettait Uviolin sur le marché, tandis qu’en 1936, année des premiers congés payés, et donc des premiers assauts de masse en direction des plages, la France voyait Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal, lancer Ambre Solaire. Si le succès de ces produits fut instantané, ce fut bien sûr parce que personne, à l’époque, n’ignorait à quel point les rayons du soleil pouvaient constituer un danger important, à la hauteur de l’appétit qu’ils suscitaient. Rien n’a changé -bien au contraire. Nous savons mieux que jamais à quel point ce qui nous attire le plus est aussi ce qui nous est le plus nocif, comme si les êtres humains ne pouvaient vivre heureux qu’au milieu de la tension entre principe de plaisir et principe de mort. Le vieux Sigmund Freud ne commenta jamais le goût pour la crème solaire, mais nul doute qu’elle aurait donné de l’eau à son moulin psychanalytique. Pourtant, il ne fallait pas être grand clerc pour se rendre compte qu’aller à la plage en plein été équivaut peu ou prou à poser la tête dans une poêle en train de chauffer: dans les deux cas, il s’agit de cuisson. Bien que les êtres humains n’aiment guère se faire manger (ni, du reste, manger autrui, à l’exception de quelques psychopathes et de l’une ou l’autre tribu aux moeurs exotiques), ils apprécient de se faire dorer comme un poulet. Être cuit, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est même considéré comme un signe extérieur de séduction. Or, il n’y a pas de bonne cuisson sans bonne matière grasse. C’est, d’une certaine façon, le rôle que jouent les crèmes solaires.

Chaque semaine, le pop philosophe Laurent de Sutter arpente le bord de mer et dissèque les objets indispensables des vacances.

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