Épisode 2: le parasol

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La plage est un milieu cruel. Cette cruauté, ce n’est pas tant celle de l’éprouvante multitude d’individus qu’on y croise, tous plus beaux, plus minces ou plus bronzés que soi, mais celle de la nature de son territoire. Pendant longtemps, celui-ci n’a pas porté de nom. Ce que nous appelons « plage » n’existait pas, tout simplement parce qu’elle n’était considérée que comme un microscopique désert bordant une immense étendue non potable. Le seul usage que l’on avait de la « plage » (le mot n’apparut en français qu’au XVIIIe siècle) était narratif ou mythologique. Puisque c’était à cet endroit que se rencontraient tous les éléments de l’univers (eau, terre, feu et air), c’était aussi là qu’étaient supposées se dérouler les interactions entre les êtres qui les peuplaient. Plutôt qu’une plage en tant que telle, la mince bande de sable marquant la séparation des éléments n’était qu’une frontière, d’autant plus menaçante qu’elle était mouvante. Celui qui, après avoir déplié son transat, plante un parasol juste à côté s’en souvient sans s’en souvenir. Il sait que, à la plage, il faut se protéger de la pureté des éléments -et du choc, toujours risqué, de leur rencontre. Le parasol est une pièce décisive de cette stratégie, car, en dressant un abri de toile au-dessus de la tête du plagiste, il s’y crée quelque chose qui, sinon, en serait absent: une forme d’habitation. Parce que la plage n’est qu’éléments purs et menaçants, y vivre ne relève de l’envisageable que pour des espèces plus au fait de la brutalité des choses que l’humaine. À cette dernière, il faut la possibilité d’une maison, d’un espace qui ne soit pas tant propre que protecteur. En délimitant une aire d’ombre sous laquelle ranger la glacière, le sac à main, le transat et les autres équipements plus ou moins inutiles qui composent la panoplie du plagiste, le parasol incarne une telle possibilité -une hypothèse architecturale dont le plan se modifie au fur et à mesure du mouvement du soleil. Sous le parasol, on est chez soi.

Chaque semaine, le pop philosophe Laurent de Sutter arpente le bord de mer et dissèque les objets indispensables des vacances.

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