RÉGIS WARGNIER PLONGE DANS L’ENFER KHMER ROUGE SUR LES TRACES D’UN FRANÇAIS RETENU EN CAPTIVITÉ.

ENTRE DEUX VÉRITÉS

Il a rêvé du film (lire la critique du Temps des aveux dans Focus du 09/01) dès la parution du Portail(1), le livre de François Bizot où l’ethnologue français raconte sa captivité aux mains de Khmers Rouges et ses surprenants rapports avec son geôlier Douch, qui fit tant de victimes mais l’épargna, lui. C’était il y a bientôt quinze ans, et d’autres cinéastes -dont Francis Girod, Bertrand Tavernier et Alain Corneau- manifestèrent de l’intérêt pour une adaptation, mais Régis Wargnier fut le plus persistant. Le réalisateur d’Indochine avait été le premier à contacter Bizot, mais s’était, comme ensuite ses collègues, « heurté au refus d’un auteur discret, un homme plutôt mélancolique, qui avait écrit son livre par nécessité, pour laver son âme, loin de toute idée de profit ou de notoriété« . C’est à la réapparition de Douch, retrouvé après une longue cavale, que son ex-captif s’était dit « qu’il ne pouvait plus garder cette histoire pour lui, qu’il lui fallait la raconter« . Wargnier se souvient « à quel point François Bizot était troublé de savoir Douch en vie« . L’annonce de la mise en place de la Chambre Extraordinaire des Tribunaux cambodgiens, et celle que Douch serait le premier à y être jugé, incitèrent le cinéaste français à revenir à la charge. Et ce d’autant plus que Rithy Panh (2) avait tout juste renoncé à une adaptation devenue possible pour la raison que le récit se plaçait du point de vue d’un Occidental…

D’un camp l’autre

Bizot ayant donné son accord, également pour que le film évoque ses retrouvailles avec son ex-geôlier (à la demande expresse de ce dernier), Wargnier put enfin préparer son tournage au Cambodge, n’imaginant pas tourner ailleurs. « Je « cale » si je n’ai pas les choses sous les yeux, il faut absolument que j’aille voir« , commente le réalisateur qui a trouvé chez Gaumont le soutien nécessaire à deux voyages sur les lieux réels de l’action, avec repérages et premiers essais de casting local. Un an et demi d’écriture (avec Antoine Audouard, « écrivain, éditeur et meilleur ami de Bizot« ) et de préparation mena à « resserrer l’histoire sur la relation entre deux hommes dans le cadre du camp de détention. Le style, c’était gommer et encore gommer, pour que ne reste que ce qui m’intéresse: eux deux et leur vérité. »

« Il fallait des pierres, des vestiges, les Khmers Rouges s’étant toujours réclamés de la splendeur de l’empire passé« , explique un Wargnier décidé à ne pas tourner dans le véritable emplacement du camp « qui n’est qu’une clairière sans intérêt particulier« . Le site fabuleux d’Angkor ne pouvait être choisi, vu son caractère « éminemment bruyant (des prières des bonzes le matin au karaoké le soir, en passant par les mariages le midi)… » C’est à deux heures de route que fut reconstitué le camp, dans un site beaucoup moins visité, où les vestiges se fondent dans la végétation. « Une fois choisi le lieu, le déclic décisif fut d’avoir trouvé l’acteur pour incarner Douch« , se rappelle le réalisateur. « Il n’y a quasi pas d’acteurs au Cambodge, explique Régis Wargnier, mis à part quelques-uns qui jouent ou plutôt sur-jouent dans des sous-films fauchés à la mode de Hong Kong. Et le théâtre traditionnel pousse aussi à en faire trop… Alors, j’ai demandé à voir des guides, des profs, des traducteurs, puisque Douch est francophone et que les dialogues du film sont en khmer et en français. Le dernier à se présenter était Kompheak Phoeung, il est prof de littérature française, et metteur en scène de théâtre. Il a beaucoup hésité à l’idée d’interpréter un personnage aussi terrible et maléfique, mais il avait, l’année précédente, été employé comme traducteur des propos de Douch devant le tribunal! J’ai immédiatement su que ce devrait être lui, et personne d’autre… Ce ne fut pas facile pour lui, mais j’ai obtenu de pouvoir tourner en continuité, dans l’ordre chronologique. »

Un captif occidental menacé de mort par ses geôliers dans une ancienne colonie, et confronté à une idéologie totalitaire devenue littéralement massacrante. Comment ne pas penser à d’autres otages, tragiquement actuels? Régis Wargnier est conscient de tendre au spectateur, à travers un récit vieux de 40 ans, un miroir des plus contemporains. « Notre époque est tellement marquée par le retour des extrémismes, des fanatismes, des idéologies dévastatrices. Vous enlevez les deux Khmers Rouges qui encadrent leur captif sur l’affiche de mon film pour les remplacer par deux hommes en djellaba avec des foulards noirs et ça évoque tout de suite autre chose… » Le cinéaste n’en réaffirme pas moins le credo porté par Le Temps des aveux et qui consiste à ne pas réduire le kidnappeur, le tortionnaire, l’assassin, au qualificatif de monstre. « Derrière le bourreau, il y a l’homme. Et c’est peut-être pire, de savoir que chez chaque fanatique, chaque idéologue forcené, il reste une part d’humanité dont ils se défendent d’ailleurs, qu’ils ne veulent pas voir exister… Quand Bizot (remarquablement joué par Raphaël Personnaz, qui a perdu huit kilos pour le film, ndlr) demande à Douch pourquoi il l’a sauvé, Douch lui répond: « Avec toi j’ai fait une erreur, je me suis approché trop près de toi et j’ai vu un homme. Dès lors, je ne pouvais pas te tuer. » »

(1)DISPONIBLE DANS LA COLLECTION FOLIO DE GALLIMARD.

(2) LE RÉALISATEUR FRANCO-CAMBODGIEN DES GENS DE LA RIVIÈRE ET DE L’IMAGE MANQUANTE.

RENCONTRE Louis Danvers

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