Entre deux âges

Le Québécois Michel Rabagliati a bâti une autofiction touchante dont chaque nouvelle sortie est attendue avec impatience des deux côtés de l’Atlantique.

Voilà plus de 20 ans que Michel Rabagliati trimbale Paul, son avatar de papier, dans le sens aléatoire des aiguilles de la chronologie. Il nous a raconté sa jeunesse, ses vacances, ses déboires amoureux, sa passion pour le graphisme et la typographie, sa vie de jeune adulte… Bref, tous les aléas de la vie y passent. La nostalgie d’une époque révolue est omniprésente, c’est pourquoi très peu d’épisodes relatent des faits qui ont moins de 30 ans. Cette nouvelle histoire est la plus proche de nous dans le temps. Et la plus mélancolique. Nous sommes en 2012, la maman de Paul, séparée depuis quelques années du papa, vit seule dans un appartement. Paul lui rend régulièrement visite, jouant les livreurs à domicile et la petite main bricoleuse. Suite à une opération, Aline ne sort plus guère mais est toujours tirée à quatre épingles, et Paul se souvient de la belle et joyeuse femme qu’elle était autrefois, des moments où il la regardait s’apprêter avant une sortie. Paul vit dans une petite maison de banlieue, seul lui aussi depuis sa séparation et l’éloignement de sa fille qui passe plus de temps chez sa mère. Son voisin, un Italien de 85 ans qui ne parle qu’en anglais, n’arrête pas de l’interpeller parce qu’une branche de sa haie empiète sur sa propriété ou parce que quelques feuilles de son cerisier sont tombées sur sa pelouse tirée au cordeau. Avec l’âge, les petits tracas surgissent: problèmes récurrents de ronflement, de maux divers ou d’inscription sur des sites de rencontres.

Entre deux âges

Traversée du désert

Paul est dans le creux de la vague et aucune lumière à l’horizon n’annonce d’embellie. Il est dans cet entre-deux que l’existence nous réserve parfois: sa vie d’avant est bel et bien finie et l’avenir reste flou. Si le deuil est omniprésent -étiolement de la santé de sa mère, séparation d’avec son ex, départ de sa fille, jusqu’à l’agonie du cerisier du jardin-, l’humour en demi-teinte n’est pourtant jamais très loin. La séance de mesure de la qualité de son sommeil et le harnachement médical qui l’accompagne ou la lecture mi-amusée mi-affligée des profils de prétendantes sur les sites de rencontre réussissent à arracher un sourire bienvenu. Heureusement, la création du personnage de Paul permet à l’auteur de jouer avec la réalité, ajoutant  » 20% de fiction pour que ce soit plaisant, pour que ce soit plus aiguisé, pour le rythme« , explique-t-il. Et ça marche. On ne peut être que touché par ce personnage qui parle au gamin que nous avons été, à l’ado qui sommeille toujours en nous, à l’adulte que nous sommes et au senior que nous allons devenir. Les histoires ont beau se dérouler à 5 000 kilomètres d’ici -et en Québécois dans le texte-, c’est une oeuvre très personnelle, qui touche finalement à l’universel que l’auteur a construite avec tendresse et intelligence.

Paul à la maison

De Michel Rabagliati, éditions La Pastèque, 208 pages.

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