LA TÉNACITÉ DE BRUCE WILLIS A INSPIRÉ LE HÉROS DE MURDERED: SOUL SUSPECT. PLUS CÉRÉBRALE QUE MUSCLÉE, L’ENQUÊTE SPECTRALE CRÉÉE PAR UNE ÉQUIPE AMÉRICANO-JAPONAISE PASSE MALHEUREUSEMENT À CÔTÉ DE SON SUJET.

Londres Est, quartier du Spitalfields, sous un soleil printanier. A deux blocs des bacs de Rough Trade, la rue étriquée de Princelet se dessine comme une voie en fin de gentrification.Tout près, des échoppes de fringues vintage hors de prix et une halle géante abritant des vinyles voisinent avec des entrepôts aménagés en lofts épurés. Comme un furoncle lové dans une barbe hipster, le numéro trois de la ruelle nargue le voisinage. Cette maison victorienne à la façade rose craquelée et aux sols prêts à s’effondrer pourrait être un squat sataniste. On n’est pas loin du compte: la bâtisse malsaine a été choisie par Square Enix pour présenter Murdered: Soul Suspect en compagnie d’Eric Studer, son co-créateur.

« Je ne crois pas forcément aux fantômes ni aux phénomènes paranormaux, mais parmi les 75 développeurs qui ont travaillé sur le projet, certains sont convaincus de leur existence »,sourit le senior game designer (1) qui a travaillé sur les cinématiques d’inFamous 2 par le passé. Projet américano-japonais porté par la plume de Yosuke Shiokawa (le créateur de Dissidia: Final Fantasy), Murdered Soul: Suspect démarre sur la défenestration puis l’assassinat (par balles) de Ronan O’Connor. Un meurtrier masqué s’échappe. Manette en mains, le joueur ne peut le suivre: il entame l’aventure au moment même où l’inspecteur de police travaillant à Salem se réveille dans les limbes, coincé dans un univers parallèle au nôtre sur lequel il n’a quasiment aucune prise.

Gameplay es-tu là?

Brisé par la mort de sa femme, l’anti-héros doit résoudre l’énigme de sa propre mort pour sortir, comme d’autres âmes en peine, de cet entre-deux monde. Avec en filigrane, la promesse de retrouver sa bien-aimée. De quoi découvrir au fil de son enquête que son passé de truand provoque toujours la haine de certains collègues. Le tout dans une ville hantée par des fantômes issus d’un passé mystique et sanglant.

« L’histoire est très occidentale mais sa genèse très japonaise, poursuit Eric Studer. Yosuke Shiokawa est en fait un fan absolu du John McClane des Die Hard. Il a entamé son projet en se demandant ce qui se serait passé si Bruce Willis était décédé avant la fin d’un de ces films. Son hypothèse est qu’il n’arrêterait jamais. Qu’il trouverait un moyen de dépasser sa condition de mort pour arrêter les bad guys. Nous n’avons pas retenu le côté action de Die Hard. Juste la ténacité et l’obstination qui façonnent son héros. »

Nourrissant le coeur de son gameplay avec un contexte spectral et une histoire en mille-feuille, le titre vu à la troisième personne mise sur des ressorts ludiques empruntés aux jeux d’aventure. Pour se sortir des ténèbres, Ronan O’Connor résout ainsi des énigmes qui se résument à trouver un maximum d’indices cachés dans une zone, sans vraiment se préoccuper de leur signification. L’impression de se retrouver face à une version 3D des jeux d’aventure d' »objets cachés »façon Mystery Case domine malheureusement. Airtight Games, studio US à qui l’on doit les combats aériens uchroniques de Crimson Skies: High Road to Revenge sur la première Xbox, tente pourtant d’aller plus loin.

L’idée de poltergeists anime ainsi les énigmes puisque le gamer peut posséder des protagonistes croisés pour lire leurs pensées ou leur suggérer des indices décisifs à même de faire avancer l’enquête. Mais on est loin des casse-têtes de Ghost Trick Détective Fantôme puisque le joueur avance, sans danger d’erreur fatidique. Sa progression physique, parfois bloquée par des portails démoniaques ou des murs, est également aidée par les possessions qu’il lance.

Déclencher un aspirateur amène un prêtre à enjamber un gouffre infranchissable pour Ronan. Et ce dernier de se glisser dans la peau du religieux pour franchir le précipice. Le titre, qui passe aussi par la possession d’un chat acrobate, n’atteint toutefois pas l’intérêt du gameplay -déjà très chétif- de Beyond: Two Souls. La rencontre de Ronan et Joy, jeune vivante douée de pouvoirs paranormaux, vole en dessous du talent d’un David Cage qui expliquait avec brio sur Beyond comment une différence pouvait fragiliser le développement d’une personnalité.

Entamé avant l’annonce officielle de Beyond: Two Souls, Murdered: Soul Suspect peine également dans sa finition ergonomique et dans sa réalisation visuelle, parfois buggée et toujours dépassée. Pour une question de timing de développement, Unreal 3 (2) a ainsi été choisi plutôt que le très prometteur Luminous Engine (3) de Square Enix. Tapissé de phases d’infiltration plus cosmétiques qu’utiles, Murdered semble en fait souffrir du syndrome NeverDead. Soit une bonne idée de départ mais la rencontre de deux cultures du développement: une horizontale, occidentale et participative face à une autre plus « dictatoriale », pyramidale et typiquement nippone. En un mot: incompatibles.

(1) SOIT LE CHEF D’ORCHESTRE DU JEU QUI FAIT LE LIEN ENTRE ATTENTES DU DIRECTEUR CRÉATIF ET VOLET TECHNIQUE.

(2) ET (3) MOTEUR GRAPHIQUE PERMETTANT DE CRÉER L’ENVIRONNEMENT VISUEL DU JEU.

ÉDITÉ PAR SQUARE ENIX ET DÉVELOPPÉ PAR AIRTIGHT GAMES, ÂGE: 16, DISPONIBLE SUR PC, PS4 (VERSION CHRONIQUÉE), PS3, XBOX 360 ET XBOX ONE.

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TEXTE MICHI-HIRO TAMAI

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