La chanson politique tient-elle encore la route? Plus que jamais présente dans les médias, elle change de visage sur le pavé des manifs.

Ce fut un moment vibrant. Le mois dernier, la chanteuse soul-gospel Mavis Staples était de passage à l’Ancienne Belgique. La voix abîmée, bravant l’avis des médecins, elle avait réussi à soulever des montagnes d’émotion. Au centre du concert: les chansons protestataires qui ont accompagné le mouvement pour les droits civiques des années 60. Mavis Staples (Chicago, 1939) les connaît bien. A l’époque, accompagnée de son révérend de père et de ses s£urs, elle suivait Martin Luther King, lors de ses longues marches à travers le sud raciste. Depuis qu’existe la possibilité d’avoir prochainement un président américain noir, ces hymnes gospel gagnent évidemment une nouvelle épaisseur. C’est tout un patrimoine de chansons de protestation qui est réactualisé. Est-il pour autant nourri de nouvelles propositions? On se souvient qu’en 2006, l’orchestre néo-orléanais Dirty Dozen Brass Band avait réenregistré le What’s Going On? de Marvin Gaye. Le chef-d’£uvre soul, sorti en 1971, était réinterprété à la lumière du désastre causé par l’ouragan Katrina. Là encore, on faisait un détour par le passé pour clamer une colère et des revendications bien actuelles.

Pourtant, par bien des côtés, la chanson contestataire n’a pas manqué de reprendre du poil de la bête ces dernières années. Principalement aux Etats-Unis d’ailleurs, pays toujours en guerre. Le Boss, Bruce Springsteen, est ainsi remonté plus d’une fois au créneau ces derniers temps (quitte lui aussi à reprendre d’anciens hymnes, ceux de Pete Seeger, activiste folk des années 50 et 60). Dans la foulée, on a pu assister récemment au retour d’un groupe aussi politisé que Rage Against The Machine ( voir en pages suivantes).  » La révolution ne sera pas retransmise à la télévision« , promettait Gill-Scott Heron en 1974. Peut-être, mais elle évitera difficilement le Net. D’ailleurs, c’est d’abord par ce canal que le rappeur Will.I.Am, accompagné d’une série de vedettes de la chanson et du cinéma, a créé le buzz. Yes, We Can n’est pas vraiment une chanson, mais bien la mise en musique d’un discours du candidat démocrate Barack Obama.

LA CUCARACHA (AIR CONNU)

En France aussi, la pompe semble s’être réamorcée. Certes, le genre est une tradition maison, depuis Léo Ferré jusqu’à Manu Chao. Mais là aussi, il a suffi d’une figure aussi forte que caricaturale (et caricaturée), comme celle du nouveau président Sarkozy, pour revoir des artistes s’énerver. Avec son dernier disque, Cali n’a pas manqué de descendre dans l’arène. Avec un entrain qui peut agacer: fidèle à ses habitudes, le chanteur ne lésine jamais quand il s’agit de mouiller sa chemise. A la faveur des commémorations de mai 68, une série de CD est également venu rappeler l’existence d’un patrimoine français en la matière. La chanson en occupe une grande part, mais dès sa naissance en France, le rap y a émargé. Le groupe La Rumeur vient ainsi de concocter une compilation hip-hop intitulée Sous les pavés, la rage.

Les ouvrages sur le sujet n’ont évidemment pas manqué. Est notamment sorti en librairie le Dictionnaire des chansons politiques et engagées (ed. Scali). On y retrouve une liste constituée de plus de 300 chansons contestataires, françaises mais aussi des protest songs issues de la tradition américaine ou d’autres hymnes révolutionnaires étrangers, souvent hispanophones. De El Pueblo unido jamas sera vencido, écrite en 73 par Sergio Ortega, trois mois avant le coup d’Etat de Pinochet, jusqu’à la plus improbable Cucaracha, traduisez le cafard, traditionnel repris notamment par les combattants zapatistes… Des figures tutélaires, comme Dominique Grange, sont naturellement de la partie. Passée de la variété à la chanson engagée à la faveur des événements de 68, elle a été de tous les combats sociaux. Avec son mari, le dessinateur Jacques Tardi, elle vient de publier un CD illustré. Le titre est explicite: 1968 – 2008… N’effacez pas nos traces!.

CHANTS DE LUTTE

Parce que la chanson engagée serait menacée? On a vu que ce n’était pas vraiment le cas. A moins que ne soit visé un certain type de musique revendicatrice. Les auteurs du dictionnaire, Christiane Passevant et Larry Portis, écrivent:  » Depuis toujours et surtout depuis l’avènement de l’ère industrielle, les chansons de protestation, de contestation, de révolte, accompagnent les mouvements sociaux et politiques.  » Mais sous quelle forme? Le seul titre belge de l’ouvrage date de 1980: Allez, les gars rythmait les manifestations antinucléaires de l’époque. Il est l’£uvre de Michel Gilbert, fondateur du Groupement d’Action Musicale (GAM). Le groupe existe toujours (il sera même en concert ce samedi 31 mai, à Mons). Mais à regarder de plus près la bande-son des manifestations, ce genre de chanson prolétaire semble occuper de moins en moins de place. Une impression pas forcément facile à vérifier. Paule Verbruggen, de l’Institut d’histoire sociale de Gand, le confirme:  » C’est en effet un thème qui n’a plus été traité depuis longtemps. Les derniers travaux sur le sujet doivent dater d’il y a une trentaine d’années.  » Un coup de sonde chez les syndicats et autres ONG n’est pas loin de confirmer. Frank Jacobs, à la FGTB:  » A partir des années 70, les groupes de chant de lutte ont commencé à disparaître. Cela dit, il reste encore des formations proches du mouvement syndical, comme les Canailles par exemple à Liège.  » Du côté des ONG, on organise bien de temps en temps des événements à caractère musicaux (CD, concert,…), mais rien de systématique. Deborah Myaux chez Oxfam:  » On connaît un certain nombre d’artistes qu’on invite quand ils sont disponibles mais qui ne sont pas directement liés à l’organisation. Nous arrive-t-il de les payer pour venir jouer? Oui, mais cela reste extrêmement marginal.  » Arnaud Ghys, du CNAPD (Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie):  » On retrouve souvent les mêmes formations. Elles sont souvent engagées, au moins de manière citoyenne. De là à dire qu’elles sont politiques… « . Quelle est dès lors la dernière tendance derrière la sono du char? Les fanfares, pas mal de percussions – comme les tonneaux du Rythme des fourmis -, et en général, des rythmes « exotiques ». Sous les pavés, la plage…

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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