Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Des nouvelles de l’au-delà – Quand un virtuose du dessin fantastique rencontre le prix Goncourt 1992, ça donne un récit faussement halluciné qui prend ses racines dans un cimetière créole.

De Thierry Ségur et Patrick Chamoiseau, Éditions Delcourt.

L’orphelin de Cocoyer Grand-Bois n’est pas un album dans lequel on entre facilement. Outre le fait que le dessinateur a décidé d’y éclater quelque peu les codes graphiques de la BD, l’histoire se déroule dans un monde fortement éloigné de notre quotidien. Plus précisément dans un cimetière antillais, dans lequel un jeune orphelin (dont les parents ont été massacrés par un monstre dément) s’initie au monde de la Merveille.  » C’est un univers peu, voire pas du tout abordé dans la bande dessinée, précise le dessinateur Thierry Ségur. Pourtant, il fait partie de la vie des gens dans les Caraïbes. Si on parle de moins en moins de rebouteux en France ou en Belgique, il n’est pas rare d’évoquer le fantastique dans les iles caribéennes. Quand je retourne en Martinique, ça me surprend toujours. Il suffit de peu de choses pour que le merveilleux fasse son apparition dans une conversation anodine. Le terreau de notre histoire vient de là. Il n’est pas anachronique et date bien de l’année 2009. »

La preuve de cette modernité? Pour entrer en contact avec les morts, le fossoyeur qui a pris l’orphelin sous son aile n’hésite pas à utiliser téléphone portable et clé USB. C’est moins spectaculaire que le rêve, mais tout aussi efficace. Fée Carabosse, zombies, soucougnans (une personne qui peut prendre l’apparence d’un animal), créatures hybrides, spectres, diablesses… tentent de profiter des failles de l’espace-temps pour s’imposer dans notre réalité. Un fabuleux bestiaire!  » La Merveille créole est un emmêlement de cultures, une trame tissée de nombreux fils hétéroclites. En comparaison, le monde d’Harry Potter est une île étroite coupée de la diversité du monde, poursuit Ségur. Comme le répète Patrick (Chamoiseau, le scénariste, ndlr) , comprendre la merveille antillaise c’est vivre, un peu, le monde global d’aujourd’hui. C’est toucher sa complexité et deviner ses nouvelles mosaïques identitaires. »

Auteur du roman Texaco (prix Goncourt 1992), Patrick Chamoiseau est un chantre de la créolité sur laquelle il s’appuie pour proposer une nouvelle conception du monde fondée sur l’ouverture des cultures et la protection des imaginaires mis à mal par l’action uniformisatrice de la mondialisation. On l’imagine assez éloigné des futilités de la BD.  » Détrompez-vous! La rencontre avec Patrick s’est faite au travers d’une collaboration pour un jeu vidéo. Il était le scénariste et moi le directeur artistique. Passionné de BD, Patrick voulait depuis longtemps concrétiser une histoire caribéenne. Nous avons donc conjugué nos désirs pour réaliser cette saga qui comptera trois albums. » Collaboration réussie si l’on en juge par la qualité de ce premier opus. La claque graphique n’en finit pas de nous étourdir.

Vincent Genot

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