Formidable puzzle policier façonné par la télévision britonne, The Red Riding Trilogy déboule chez nous en DVD. Trois films noirs de noir suivant le fil rouge-sang de meurtres sordides dans une Angleterre gangrenée par la corruption. Bienvenue en enfer…

Le challenge était de taille: adapter pour la télévision anglaise le Quatuor du Yorkshire de David Peace ( lire notre encadré), tétralogie d’un pessimisme et d’une noirceur insondables plongeant ses racines dans le terreau vicié mais fécond de faits réels sordides survenus dans le nord de l’Angleterre durant les seventies (les meurtres de l’Eventreur du Yorkshire, notamment) et souvent considérée comme le digne rejeton briton du Quatuor de Los Angeles de James Ellroy. Rien que ça. Et quand on connaît le destin peu glorieux rencontré jusqu’ici par les adaptations cinématographiques du plus génialement cintré des écrivains américains -exception faite, peut-être, du L.A. Confidential de Curtis Hanson-, on ne peut que saluer ici la réussite, étincelante, de cette transposition-ci.

Il faut dire que Channel 4 s’est donné les moyens de ses ambitions, réunissant autour de sa Red Riding Trilogy -l’intrigue du deuxième tome du Quatuor a en partie été fondue dans celle du troisième tome, le reste étant passé à la trappe afin de s’en tenir strictement à 3 films- ce qui ressemble furieusement à une dream team. En amont, donc: David Peace et ses livres. Côté adaptation: Tony Grisoni, fidèle collaborateur de Terry Gilliam ( Las Vegas Parano, Tideland, Don Quixote). Au casting, la crème des acteurs anglais: Sean Bean ( The Lord Of The Rings), Peter Mullan ( My Name Is Joe), Rebecca Hall ( Vicky Cristina Barcelona), Andrew Garfield ( Boy A)… Derrière la caméra, 3 réalisateurs au talent confirmé: Julian Jarrold ( Becoming Jane), James Marsh ( Wisconsin Death Trip) et Anand Tucker ( Hilary and Jackie).

Julian Jarrold, responsable du premier des 3 films:  » L’idée d’avoir un réalisateur différent pour chacun des volets composant la trilogie (titrés à chaque fois selon une simple date: 1974, 1980, 1983, ndlr ) était présente dès le lancement du projet. Et je pense qu’il s’agit là vraiment d’une brillante idée de la part des producteurs. C’est tout à fait cohérent par rapport aux livres en ce sens que, même s’ils forment un tout, ils existent de manière indépendante et présentent les événements selon des perspectives variées. D’où l’intérêt d’avoir à chaque fois un cinéaste différent, avec son propre point de vue, son style, sa manière de travailler avec les acteurs. »

Trois approches différentes, donc, pour 3 façons de filmer bien distinctes…  » J’ai décidé de tourner 1974 en super 16, poursuit Jarrold, parce que la représentation que je me fais des seventies passe par cette image granuleuse, délavée, typique des films de cette période. James Marsh, qui a réalisé1980 , avait pour sa part envie de quelque chose de plus net, de plus lumineux, et il est donc allé naturellement vers le 35 mm. Quant à Anand Tucker, il a opté sur 1983 pour la vidéo numérique, plus en phase selon lui avec les années 80 et cette idée de révéler les mystères en germe dans les 2 premiers volets. A nouveau, cette diversité dans la forme reflète les différents points de vue, les sentiments subjectifs développés par les divers personnages à l’égard d’une même série d’événements, connectés les uns aux autres. »

This is England

Et de suivre ainsi les enquêtes portant sur 2 affaires criminelles ignominieuses à travers le regard de 3 personnages -un jeune reporter, un flic loyal, un avocat de seconde zone- qui se succèdent tout au long de 3 films courant sur une décennie et fonctionnant comme autant de pièces d’un puzzle fascinant, trouble et complexe, ne révélant toutes ses subtilités et toute sa force qu’une fois complété. Il s’agit en effet de s’accrocher, le temps notamment d’un premier épisode cultivant l’art de l’ellipse et du non-dit avec une belle constance et réservant son lot de frustrations. Car les 2 volets suivants viendront régulièrement en révéler la pertinence, tout en pointant que le véritable enjeu de cette série noire n’est pas forcément là où on l’attend.

 » L’idée était de combiner la sensibilité des films noirs américains avec le réalisme propre à un certain cinéma anglais, explique Julian Jarrold. Et de capter, comme les bouquins le faisaient, l’atmosphère de l’Angleterre des années 70 et 80. Car si la fin de l’histoire débouche effectivement sur une résolution, il est clair que l’essentiel est ailleurs, dans le portrait de la corruption des institutions britanniques d’alors, notamment. » La trilogie n’excelle jamais tant, en effet, que dans le rendu d’une Albion certes perfide, mais surtout glauque, grise, pluvieuse, qui pue le marasme social et la montée du thatchérisme, la clope et la vieille pinte, l’ennui et la pisse froide. Une Angleterre crépusculaire où sévissent pédophilie et meurtres, corruption policière et magouilles politico-financières.  » Bien que sombres et très critiques, les films ont été particulièrement bien reçus en Angleterre, même dans le Nord. On a eu beaucoup de feedbacks positifs venant des spectateurs du Yorkshire. Par contre, je ne suis pas tout à fait sûr que la police locale soit fan (rires ).  » Pas sûr, non… l

The Red Riding Trilogy – 1974, 1980, 1983. De Julian Jarrold, James Marsh et Anand Tucker. Avec Sean Bean, Peter Mullan, Rebecca Hall. Coffret 3 DVD. Dist: Twin Pics. zz

Texte Nicolas Clément

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