LA RÉALISATRICE FRANÇAISE FAISAIT L’OUVERTURE DU FESTIVAL DE CANNES AVEC LA TÊTE HAUTE, AVANT DE RETROUVER LA CROISETTE CE WEEK-END POUR MON ROI DE MAÏWENN, DONT ELLE TIENT LE RÔLE PRINCIPAL.

Thierry Frémaux sait ménager ses effets. En programmant La Tête haute (lire critique page 32) d’Emmanuelle Bercot, en ouverture du festival de Cannes, le délégué-général a pris tout le monde de court, la réalisatrice la première, sans doute. « Il m’a appelée, et m’a dit: « J’ai envie de mettre votre film en ouverture, êtes-vous d’accord? » Et on a réfléchi, raconte-t-elle, alors qu’on la retrouve dans les bureaux de son attachée de presse, dans le huitième arrondissement, trench-coat sur chemise noire et écharpe assortie, la voix claire et le sourire à l’identique. J’ai commencé par dire non, parce que ça forçait à avancer la sortie, et je n’en avais pas du tout envie, de peur qu’on ne soit pas prêts. Et puis, j’ai complètement changé d’avis… » Difficile d’imaginer résonance plus grande, en tout état de cause, à quoi se sont ajoutés divers arguments, affectifs et autres: « Pour moi, c’est un très grand honneur: la place est sans risques, et très prestigieuse. Voir un film traitant d’un tel sujet, pas du tout glamour ni spectaculaire, mais important à mes yeux, bénéficier d’une telle exposition me touche… »

On y verra aussi le point d’orgue (provisoire) d’une belle histoire entre la réalisatrice et le festival, entamée en 1997, lorsque son court métrage Les Vacances, y obtenait le Prix du jury. Quatre ans plus tard, Clément, son premier long, était présenté à Un Certain Regard, le Polisse de Maïwenn venant pour sa part consacrer son talent de scénariste en 2011… Une histoire à suivre puisque Emmanuelle Bercot est encore de Mon roi, de cette même Maïwenn, présenté ces jours-ci en compétition, et dont elle tient le rôle principal aux côtés de Vincent Cassel –« Etre à Cannes avec son film est aussi important pour moi, mais c’est complètement autre chose. Les expériences et les émotions seront totalement différentes. » Et d’énoncer, comme une évidence: « Réaliser des films est mon métier; être actrice, ce sont des récréations… »

L’obsession de la vérité

Portrait d’un délinquant accompagné par une juge de la jeunesse et un éducateur sur la route chaotique menant de ses 6 à ses 18 ans, La Tête haute n’est pas sans parenté avec Polisse, qui dépeignait, on s’en souvient, le quotidien d’une Brigade des mineurs. « Ces films sont imprégnés d’observation, et s’inspirent de choses réelles. En cela, ils ont le même type de ton et de recherche de vérité », approuve Emmanuelle Bercot. A cette fin, la cinéaste explique avoir mené de longues recherches, dévorant toute la prose consacrée à la question, et visionnant reportages et documentaires sur le sujet. « Et surtout, j’ai eu la chance de pouvoir faire comme un stage dans les tribunaux, dans les bureaux des juges, dans les centres éducatifs pendant de longues semaines, pour nourrir le film d’une matière documentaire indispensable. Dans mon travail, je suis obsédée par le fait de donner une impression de vérité et d’être le plus juste possible. » De cette expérience, elle raconte encore avoir été frappée par la violence sourde régnant dans les centres, assortie du sentiment que tout puisse y basculer en un clin d’oeil. Et puis, par les histoires familiales tragiques entendues dans les bureaux des juges –« un juge des mineurs ne fait pas que traiter de la délinquance. La grosse partie de son travail touche à la protection de l’enfance, et consiste à s’occuper de ce qu’on appelle les enfants en danger, maltraités physiquement ou psychologiquement dans leur famille. » Conséquent, le film rend hommage à l’Institution, incarnée avec éclat par Catherine Deneuve (déjà au coeur du film précédent de la réalisatrice, Elle s’en va), juge à l’autorité fort maternelle. « Mon plaisir serait d’ouvrir le débat. L’Institution est certainement critiquable, et présente sûrement des dysfonctionnements, mais j’ai choisi de lui rendre hommage parce que, tout simplement, j’ai été bluffée par le travail que font les juges et les éducateurs. J’éprouve une immense admiration pour eux, et j’avais envie de saluer ces métiers-là. »

Pour autant, le film ne verse pas dans l’angélisme, pas le genre de la maison. Emmanuelle Bercot préfère une approche frontale, à l’image de celle qui présidait à Mes chères études, où elle abordait la prostitution estudiantine -avec une incroyable Deborah François-, ou, bien sûr, à Polisse, jusqu’à ses paroxysmes de tension. « Je suis quelqu’un de frontal et de physique, et j’aborde aussi le cinéma comme cela. C’est ma nature. » Impliquée sur les tournages pour « faire corps avec les acteurs », elle reconnaît aussi parfois les bousculer. Ainsi de Rod Paradot, non-professionnel comme elle en caste pour chacun de ses films, et qui crève l’écran sous les traits de Malony, cet ado engagé dans une spirale infernale. « J’ai dû m’acharner sur lui, jusqu’à ce qu’il sorte ce que je voulais. Il était déstabilisé, évidemment, mais les autres comédiens le choyaient vraiment. Du coup, je pouvais être un peu plus dure à côté », rigole-t-elle, franche du collier. Déterminée, et aussi impulsive à l’occasion, elle qui décida, du jour au lendemain, de délaisser la danse, à laquelle elle se destinait, pour le théâtre et le métier de comédienne –« J’ai eu une révélation »-, avant de bifurquer vers le cinéma: « J’ai beaucoup galéré, et à 25 ans passés, j’étais surtout serveuse plus que comédienne finalement. Je me suis dit qu’il fallait que quelque chose se produise, et entendant parler de la Fémis, j’ai décidé de présenter le concours. Avant ça, je n’avais jamais imaginé réaliser des films; l’idée de faire du cinéma n’a commencé à m’effleurer qu’alors. » La suite, comme l’on dit, appartient à l’Histoire…

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Paris

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