Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Master piece – d’Outre-Tombe, Elvis nous envoie 100 chansons de rock’n’roll graveleux, country larmoyante, gospel humide et autres slows copulatoires: big lips n’est pas mort pour rien.

Box « Elvis 75 – Good Rockin’ Tonight »

Distribué par Sony Music.

« Il existe une célèbre photo d’Elvis Presley où deux reines de beauté l’embrassent sur les deux joues, tandis qu’il fixe l’objectif. Je ne connais personne dans toute l’histoire du show-business (ni même de la photographie) qui ait jamais regardé un objectif de cette manière, avec un mélange aussi total d’agression et de soumission, avec une telle possession de lui-même et des observateurs: la narine gonflée, narquoise, les lèvres lisses, éblouies, les yeux brûlant d’amour. » Voilà ce qu’écrit Michael Herr en préface du Rock Dreams de Guy Peellaert. La messe est déjà dite dans cette façon tellurique de traduire la secousse Presley, chanteur iconique et sex-symbol majeur (pas un bon coup, paraît-il). Sauf qu’en 2010, on semble avoir gommé sa première vie de jeune blanc magique qui chante et danse à la nègre devant une Amérique fifties éberluée, et juste retenu la méga star bouffie des années 70 Vegas. L’intérêt suprême de ce coffret est de laisser place à la musique. Un tiers des chansons sont du rock’n’roll, genre hoquetant balayé d’une section rythmique cromagnon et de ch£urs enfantins. Plus aucun groupe actuel ne joue comme ça mais il faut écouter ce qu’Elvis en fait: un truc collant, bourré de breaks arrondis sur lesquels son grandiose larynx jette un coulis de joie exacerbée, de collé-frotté et de swing à déterrer les culs. Il ne devrait pas y avoir de date de péremption pour ce genre de produit. Là où l’ex-camionneur de Tupelo écrase la concurrence, c’est dans la ballade. En gospel avéré ou en blanches confessions, on n’a jamais entendu les anges pleurer comme cela: One Night, I Want You, Are You Lonesome Tonight. Elvis représente la pile originale, pauvre gosse du Mississippi inondé par des musiques incandescentes qu’il absorbe dans une Amérique fièrement ségrégationniste.

Rock king size

Le coffret expose les chansons dans l’ordre chronologique: on craignait qu’après le feu d’artifice des années ’53-’57 (CD 1), les morceaux suivants – période nanars ciné – ne nous sapent le moral. Ben non, malgré le ratio de tempos gluants, on reste le plus souvent bluffé par le CD 2 ( Can’t Help Falling In Love). Le CD 3 est dominé par cette écrasante renaissance de ’68 donc, où Elvis, cuir noir homoérotique, refait du rock viral et flamboyant: inspiré, il finit la décennie, le blason complètement redoré ( In The Ghetto, Suspicious Minds). Le quatrième CD est celui de la dernière ligne droite (1970-1977): une renaissance qui se termine moyennement, Elvis overdosant de médocs sur les chiottes. Le trajet est néanmoins traversé de country-blues, de rock charnu et d’une poignée de fulgurances: Burning Love, Always On My Mind. C’est pas grand-chose à côté d’ An American Trilogy: cette version live de février 1972 à Las Vegas fait péter tous les verrous, dans une extraordinaire tension de cuivres et de ch£urs barnumesques, dominés par la voix cosmique – sans rire – d’Elvis. S’il y a bien un moment qui résume la merveilleuse névrose de Presley et de l’Amérique contemporaine, c’est celui-là. Montez le volume.

www.elvisthemusic.com

Philippe Cornet

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