C’EST LE RETOUR DE L’ANNÉE! D’AUTANT PLUS BEAU QU’IL S’EST FAIT ATTENDRE LONGTEMPS. PAUL VERHOEVEN N’A PAS PERDU SON « BASIC INSTINCT« …

Dix ans de silence et 77 ans au compteur n’ont entamé ni le talent ni la volonté d’un Paul Verhoeven qui signe avec Elle un de ses meilleurs films. A la clé, une présence en compétition au Festival de Cannes, un petit quart de siècle après que son Basic Instinct y a fait sensation tout en lançant la bombe Sharon Stone vers le firmament des stars. Une fois encore, le cinéaste néerlandais signe un thriller aux accents érotiques, féministes et moralement transgressifs. Et une fois encore, il associe sa réussite à celle d’une actrice: Isabelle Huppert. Et dire que son film aurait dû, initialement, se tourner aux Etats-Unis, et avec une star anglo-saxonne dans le rôle principal.

Intervention divine

« L’action allait se dérouler dans une ville d’Amérique du Nord, se rappelle Verhoeven, à décider entre Boston, Chicago et Seattle. Le problème, aux Etats-Unis, c’est qu’ils n’ont pas d’Isabelle Huppert! Le script ou en tout cas certaines scènes étaient « too much » pour les comédiennes que nous avons approchées, trop « diaboliques » (en français dans le texte, NDLR)… » Le réalisateur éclate d’un grand rire au souvenir de ce qui aurait pu passer pour un semi-échec: la difficulté à réunir un budget hollywoodien vu le refus des comédiennes approchées (Nicole Kidman en faisait partie) et le retour du projet en France où est basé le producteur Saïd Ben Saïd et où se situe l’action de Oh…, le roman de Djian dont s’inspire le film. « Nous nous étions donné du mal pour transformer le script, adapter l’histoire au contexte culturel américain. Faire le chemin inverse nous a étrangement soulagés. Avec le recul, je parlerais presque d' »intervention divine ». Le film allait être beaucoup plus intéressant situé en France. Et puis, surtout, j’allais pouvoir tourner avec Isabelle, qui avait lu le bouquin et que le projet avait intéressée dès le début. Avant même que je me retrouve moi-même impliqué… Je ne vois personne d’autre dans le monde capable aujourd’hui de faire ce qu’elle fait dans le film! »

Authentique

Paul Verhoeven célèbre « la si intéressante ambiguïté » de l’interprétation d’Huppert. « Même si vous ne comprenez pas tout des motivations du personnage, vous percevez son authenticité, explique-t-il. Je pense d’ailleurs qu’Isabelle ne saurait faire quoi que ce soit qui ne soit PAS authentique! Il n’est pas un cliché qu’elle ne sache contourner. Elle est extrêmement talentueuse, intelligente, très exigeante aussi, avec elle-même comme avec les gens qui travaillent avec elle sur le tournage.  »

Si le cinéaste ne regrette pas trop le projet avorté de transposition du roman de Djian aux Etats-Unis, c’est parce que « travailler avec un scénariste américain (David Birke, NDLR) m’a permis d’avoir un script plus structuré, un « plot » plus serré. C’est la plus grande différence entre les cinémas américain et européen. Si vous prenez ce qui est à mes yeux un des meilleurs films jamais réalisés, La Dolce Vita de Fellini, il n’y a pratiquement aucune narration. Dans Elle, je dirais que les deux premiers tiers sont bien structurés façon thriller à l’américaine. Puis, après la révélation de l’identité de l’agresseur, le film prend un tour totalement inattendu et se libère du « plot » pour oser autre chose, du côté des réactions sociales, de l’entourage, la plupart de ses membres n’ayant absolument rien à voir avec le récit! »

Les toutes premières réactions à Elle ont appris à Verhoeven que « les femmes l’appréciaient particulièrement« . Bien plus que les hommes, les femmes avaient déjà « vu que Basic In-stinct était un film féministe« . Le réalisateur n’a pas, cette fois-ci, « délibérément voulu faire un film engagé« . Mais il admet qu’une héroïne « refusant de se poser en victime et qui remet les rôles en question » s’inscrit bel et bien, même « sans aucune volonté de tenir un discours », dans une optique féministe qu’il ne veut pas pour autant revendiquer clairement. « On va parler de rapports de pouvoir, mais ce n’est pas cela que j’ai perçu dans le sujet, développe-t-il. Ce qui m’a attiré sont des choses qu’en fait je ne comprends pas! Je n’aime rien de plus que d’aborder des histoires qui me confrontent au mystère, des thèmes sur lesquels je n’ai pas encore d’idée ferme, de conviction…  »

Cette approche mène tout naturellement à la référence première de Verhoeven pour la mise en scène d’Elle: le cinéma de Jean Renoir et particulièrement La Règle du jeu (1939), « où s’accomplit le mélange du sérieux et du léger, où s’exprime aussi une absence totale de moralité« . Le cinéaste part d’un nouvel éclat de rire, lui qui s’est si souvent plu à choquer, au risque parfois d’être pris au pied de la lettre comme ce fut le cas pour son formidable Starship Troopers de 1997. Ce film de science-fiction qui lui valut d’être traité de « fasciste » alors qu’au contraire il dénonçait cette même dérive (présente dans le roman de Robert Heinlein qu’il adaptait très librement). « Beaucoup de gens s’arrêtent au premier degré de ce qu’ils voient et ne pensent pas plus loin, regrette Verhoeven: trop de seins nus dans Showgirls, des jeunes gens blonds aux yeux bleus et en uniforme dans Starship Troopers… Imaginez ma tête quand j’ai vu l’éditorial de première page du Wall Street Journal -même pas une critique en pages cinéma, un édito à la une!- dénoncer mon film comme étant « néonazi »… Je pensais pourtant avoir clairement montré du doigt l’univers à la Leni Riefenstahl présenté à l’écran! »

Un regard, deux caméras

« Evidemment, des choses comme celles-là n’ont pas précisément aidé ma carrière« , déclare un cinéaste dont les rapports avec les Etats-Unis ne furent jamais simples. « Il y a toujours eu là-bas une tension particulière entre supercapitalisme et démocratie, commente notre interlocuteur, et les sommes astronomiques déversées dans les campagnes électorales font qu’aujourd’hui, si le plus riche n’est pas assuré de gagner, il a en tout cas beaucoup plus de chances que les autres… » On ne changera pas Paul Verhoeven, dont le nouveau film épingle au passage l’hypocrisie du conservatisme catholique. « De manière implicite, évidemment! Nous ne saurions bien sûr voir une métaphore sur les cachotteries de l’Eglise dissimulant les crimes commis par certains de ses membres ces dernières décennies…« , lâche en souriant un réalisateur qui dit toujours préférer « l’ambiguïté ».

En regardant Elle, on ne peut qu’être frappé par la fluidité peu banale qu’expose la réalisation. Un effet souhaité, bien sûr, et qu’a renforcé le système choisi par Verhoeven pour son tournage. « J’avais eu l’occasion d’essayer ça pour Steekspel (un moyen métrage expérimental pour la télévision, et le seul film du cinéaste entre Black Book en 2006 et Elle, NLDR): tourner avec deux caméras, chacune pilotée par un directeur de la photographie. Deux types qui se connaissaient bien et qui se positionnaient si naturellement qu’en passant des images d’une caméra à l’autre, on remarquait à peine qu’il y avait une coupure, un changement de plan… » Stéphane Fontaine, le chef op’ choisi pour Elle, accepta le défi d’un « partenaire » qu’il suggéra lui-même (Matthieu Le Bothlan, crédité au générique en tant qu’assistant opérateur), offrant au montage la possibilité à Verhoeven d’achever son film aussi « organiquement » qu’il ambitionnait de le faire. « L’impression de continuité est capitale pour moi, commente-t-il, c’était déjà pour ça qu’au tournage de Showgirls, j’ai utilisé quasiment en permanence une steadycam, en plan séquence mouvant… » A bientôt 78 ans (il les aura le 18 juillet prochain), le réalisateur batave est toujours aussi curieux « d’aller découvrir ce (qu’il) ne sait pas encore« . La réussite de son nouveau film, aussi imparable et passionnant que complexe et risqué, devrait vite lui apporter de nouvelles occasions de le faire!

RENCONTRE Louis Danvers

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