De Telex à la new beat en passant par Front 242 ou les frères Dewaele: plus que le rock, c’est par la musique électronique que la Belgique s’est imposée sur la carte. Quatrième épisode de notre série d’été sur les 50 ans du rock made in Belgium.

C’était une époque assez géniale. Je me souviens que j’animais la tranche 22h-minuit sur SIS (NDLR: l’émission intitulée Behind The Beat), puis je sortais au Boccaccio. Quand on arrivait sur place, la file s’allongeait jusqu’à l’entrée de l’autoroute! » C’est Stefaan Vandenberghe qui parle. Passé 23 h, on le connaît mieux sous le nom de Dr Lektroluv ou T-Quest. La journée, il est manager de NEWS, label électronique incontournable, responsable de la distribution d’une kyrielle de labels, pour le Benelux, voire le monde entier pour certains d’entre eux. Il évoque l’âge d’or de la Belgique électronique: celui de la new beat. On vous parle d’un temps que les moins de 20 ans n’ont jamais vraiment connu. Un tsunami qui a retourné les plats pays, à la charnière des années 80 et 90. Avant de finir en blague… « Sur la fin, cela a tourné en effet au carnaval… »

Mais commençons par le début. Même s’il n’est pas forcément beaucoup plus sérieux… Fin des années 70, Marc Moulin le dit en effet lui-même: « Avant tout, notre musique tient de l’amusement. C’est un bon angle, pratiqué par peu de groupes, surtout dans la musique électronique d’ailleurs. » Avec Michel Moers et Dan Lacksman, ils ont formé Telex. Soit la rencontre entre Tintin et les Allemands de Kraftwerk. Dès 78, ils pondent une série de reprises électro-disco-décalées, de Twist à Saint-Tropez à Rock Around The Clock… Mais aussi Moskow-Diskow, leur Trans-Europe Express à eux, hit international qui deviendra culte. Les blagues les meilleures sont cependant, souvent, les plus courtes: avec la participation du trio à l’Eurovision 1980, leur humour tongue-in-cheek arrive dans une impasse.

Faut dire aussi que les temps ne sont pas franchement à la rigolade. Crise, chômage, inflation,… Cela peut certes donner des choses intéressantes musicalement parlant. En août 81, le groupe bruxellois Allez Allez se crée en direct sur les ondes de la BBC, invités par le grand manitou John Peel. Un an plus tard, ce sont les Tueurs de la Lune de Miel, et leurs délires post-punk, qui font la une du New Musical Express. Un groupe belge en couv’ du principal hebdo musical de Sa Majesté, on n’a en fait jamais vu ça…

Mais c’est encore ailleurs que couve la révolution. Elle sera électronique et prendra des airs d’opération commando. Officiellement, elle naît en 81, du côté d’Aarschot, près de Bruxelles. Daniel Bressanutti et Dirk Bergen lancent un projet intitulé Front 242 (voir également plus loin). Rapidement rejoint par Patrick Codenys, Jean-Luc De Meyer, puis, au départ de Bergen, par Richard Jonckheere (Richard 23), le groupe joue la carte de l’agression musicale. L’esprit est punk, la forme électronique et proche de la musique industrielle. Au passage, le terme « electronic body music » est inventé pour décrire leur musique, certes cérébrale et métallique, mais aussi diablement physique, séminale. Les hits se succèdent dans les classements alternatifs, et Front 242 devient une référence, y compris dans les terres anglo-saxonnes. Résultat: encore aujourd’hui, il serait logique de considérer Front 242 comme le groupe le plus influent qu’ait pu produire le pays.

ACIIIIID

On a souvent associé la formation à la naissance de la new beat quelques années plus tard. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le terreau est cependant le même: la new wave. Un terme assez vague que pour susciter d’interminables débats dans le courrier des lecteurs du Rock This Town de l’époque (new wave ou pas, U2? The Cure? Joy Division? DAF?), mais qui arrange bien DJ Ronny. « Dikke » Ronny mixe alors à l’Ancienne Belgique, à Anvers, le club qui a un peu damé le pion au Scandals. Entre autres obsessions, il est braqué sur le Holland Tunnel Dive, de ImpLOG, obscur morceau qui imite le roulement que l’on peut entendre quand on passe en voiture dans le tunnel new-yorkais.

Un jour, Ronny a l’idée de ralentir les disques qu’il mixe. Dr Vinyl, alias Geert Sermon, disquaire incontournable du royaume, ancien DJ et organisateur des soirées Food, précise: « Il prenait par exemple le titre Flesh du duo gantois A Split Second, et le passait en 33 tours, « repitché » encore à + 8 pc. De 130 battements par minute, on descendait à 92, 93. Du coup, le morceau prenait une toute nouvelle dimension, futuriste, un peu fin du monde. C’était comme le son d’une église tordue. » La sauce prend rapidement. Un public se constitue, et on commence à parler d’AB music, référence au club anversois. A Bruxelles, au Mirano, Jean-Claude Maury lorgne sur les mêmes plans, comme Eric Beysens à la Gaîté, place de la Monnaie. Au Carrera aussi, à Gand, on planche sur le sujet. Mais l’endroit disparaît bientôt dans les flammes. Un coup de la boîte concurrente, située juste en face? Moribonde depuis un bon moment, elle reprend en tout cas le créneau, en allant notamment chercher Olivier Peeters, qui traînait alors à l’AB anversoise: le Boccaccio, temple de la new beat, est né. Nous sommes en 87. Bientôt, les deux parkings géants seront pleins chaque dimanche soir, mélangeant des plaques belges, mais aussi hollandaises, françaises, allemandes, voire anglaises ou italiennes. En fait, la Belgique devient à ce moment-là une grande piste de danse (les boîtes n’ont pas d’heure de fermeture). Dr Vinyl: « Entre 87 et 93, c’était 24 h party people! Il y avait moyen de sortir du jeudi au mardi, non-stop. » Du coup, il faut évidemment « nourrir » le monstre. Stefaan Vandenberghe: « A un moment, les mêmes producteurs sortaient jusqu’à quatre disques par semaine sous des pseudos différents. » Le trio Morton-Sherman-Bellucci passe ainsi pour les Stock-Aitken-Waterman de la new beat, commettant une centaine de productions en un an (dont une série de hits, comme le Move Your Ass des Erotic Dissidents, ou le Hmm Hmm de Taste of Sugar).

Le coup de grâce? Un jour, le patron du Confetti’s à Brasschaat (Anvers) cherche un hymne pour sa boîte. Serge Ramaekers et Dominique Sas lui pondent The Sound of C. Peter Renkens, connu pour ses facéties derrière le bar du club, deviendra le géant des Confetti’s, accompagné de quatre danseuses. Le morceau fera un carton, vendu à 100 000 exemplaires rien qu’en Belgique. Mais il signera aussi le début de la fin pour le mouvement, qui sombrera dans la gaudriole.

PUMP UP THE JAM

N’empêche: cela aura au moins permis à Jo Bogaert de se faire la main. Avec Nux Nemo, il a pondu un des premiers hits de la new beat ( Hiroshima). Dès 89, il prend cependant la tangente et met au point Technotronic. Il sort le single Pump Up The Jam. En quelques mois, le morceau devient un tube planétaire, grimpant jusqu’à la deuxième place des charts anglais et américains! A nouveau, c’est la musique de danse qui arrive à placer le royaume sur la carte. Cela vaut également pour les années qui suivent. Le label R&S est parmi les premiers à s’intéresser à la techno. Un genre qui aura bientôt son club de référence- le Fuse, à Bruxelles – et même son festival, I Love Techno. Moins visibles et musicalement déterminants, une série de formations continuent à vendre des camions de disques d’eurodance ou de techno de kermesse, aux Etats-Unis ou en Allemagne: Two Unlimited, Praga Khan… Ces derniers, émanation des Lords of Acid, composeront sous le nom de The Immortals la première B.O. de jeu vidéo à sortir dans le commerce aux Etats-Unis – Mortal Kombat, en 94 – (lire par ailleurs notre dossier Le jeu en vaut les décibels, p. 14-15).

Et aujourd’hui? Le paysage des clubs a évolué, mais la Belgique continue à garder la main. Grâce par exemple aux frères Dewaele, DJ’s overbookés, au centre du dernier bouleversement en date sur le dancefloor mondial, de plus en plus electro-rock. Danse, c’est du belge?

texte laurent hoebrechts

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