Il n’y a pas que le thon rouge, la politesse, le tibétain ou le Modem de François Bayrou -qui s’est mangé une droite et une gauche au premier tour des élections régionales françaises dimanche dernier- qui sont menacés d’extinction. Dans un monde au bord de la crise de nerfs, plus rien ni personne n’est immunisé contre la touche Delete. Du plancher au plafond de la chaîne alimentaire, c’est donc le sauve-qui-peut. Et faute de pouvoir garantir la survie à tous les passagers du radeau, on archive, on compile, on photocopie, histoire de garder des traces, des souvenirs au cas où les choses tourneraient au vinaigre. A côté des scies médiatiques comme Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand dont le fond de commerce (équitable) est la faune et la flore, qu’ils filment façon carte postale envoyée depuis un passé qu’on dirait déjà révolu, les projets de préservation qui se multiplient réservent parfois des surprises. La BBC vient ainsi de lancer un vaste programme d’archivage des… bruits du quotidien. Partant du principe que le progrès technologique, la pollution, les guerres, les catastrophes naturelles ou simplement la standardisation des modes de vie viendront à bout de ce vaste paysage sonore, la vénérable institution se fait fort de dresser la carte phonique de notre époque, du bruit de la chasse d’eau au tintamarre d’une artère new-yorkaise en passant par le brouhaha d’un marché asiatique ou le vibrato d’un sèche-cheveux. De Tokyo à Rio, de Tallinn à Niamey, 8 milliards de paires d’oreilles sont ainsi invitées à enregistrer les sons les plus anodins de leur environnement et à les télécharger sur la plateforme Save our sounds. Une collecte à grande échelle qui ressemblera vite à un tableau acoustique surréaliste, une Tour de Babel audio. Bonjour la cacophonie! Moins farfelu qu’il n’y paraît sur le plan ethnologique (après tout, les déchets ménagers nous en ont bien appris des tonnes sur nos ancêtres), cette entreprise souffle le chaud et le froid sur le baromètre de notre état de santé. Prise de conscience salutaire que l’identité se définit aussi par l’empreinte sonore que laissent les individus ou signe avant-coureur du désastre, et qu’il est donc urgent de stocker la bande-son du présent? Ce qui serait déjà avoir l’ouïe fine. Hier, on perdait en route des pans mélodiques et linguistiques entiers sans trop se poser de question. Il n’y avait que des fêlés visionnaires comme Alan Lomax pour courir le monde et consigner ses chants et ses musiques en péril. Dire que d’ici un siècle voire moins, quand on vivra dans des bulles pressurisées et insonorisées, on glissera avec émotion une pièce dans le juke-box pour entendre le grondement d’un aspirateur ou le clapotis du lait sur le feu…

Retrouvez la chronique sur les séries télé de Myriam Leroy,

tous les jeudis à 8h45, sur PURE FM

Par Laurent Raphaël

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