COUR DE HEREAFTER, CÉCILE DE FRANCE S’AJOUTE À UNE LONGUE SÉRIE DE PREMIERS RÔLES FÉMININS QUI PEUPLENT LA FILMOGRAPHIE DE CLINT EASTWOOD RÉALISATEUR. GALERIE.

Eastwood et les femmes? Le prisme peut sembler improbable, s’agissant de « l’homme sans nom » et autre Dirty Harry, flic de San Francisco dont le machisme serait le pendant du Magnum 357. Comme souvent dans le cas de l’acteur-réalisateur, les préjugés résistent difficilement à l’analyse cependant: il ne lui faut d’ailleurs qu’un film comme metteur en scène, Play Misty for Me, qu’il tourne en 1971, pour quelque peu flouter son mâle profil, face à une Jessica Walter inaugurant là une longue lignée de premiers rôles féminins que vient aujourd’hui compléter Cécile de France.

Clint, l’homme-objet

Les contours de cette présence féminine sont toutefois encore incertains au moment de Play Misty for Me. A l’instar de celui qu’il tenait dans The Beguiled de Don Siegel, le néo-réalisateur s’y réserve le rôle d’un homme-objet, le DJ d’une radio de Carmel, qui, pensant avoir une aventure passagère avec une auditrice, voit son existence envahie par une authentique psychopathe (Jessica Walter, une quasi inconnue qu’il avait remarquée quelques années plus tôt dans The Group de Sidney Lumet). Eastwood trouve ses marques de metteur en scène -entre fluidité et nonchalance, notamment- et craquèle quelque peu son image: l’homme sans nom est ici un Américain tranquille quoique séducteur, victime de ses atermoiements comme de la passion et de la folie meurtrière d’Evelyn Draper. Le profil est toutefois suffisamment ambigu pour qu’Eastwood, s’il s’inspire de faits authentiques, soit l’objet des foudres de mouvements féministes, qui réitéreront leurs critiques pour High Plains Drifter (L’homme des hautes plaines), film lui valant d’être taxé, vieille antienne, de misogynie.

Réalisé comme ce dernier en 1973, Breezy voit le réalisateur changer de registre, pour s’essayer au drame intimiste. Kay Lenz y incarne la jeune hippie de 17 ans qui donne son titre au film, et qui entame une relation amoureuse avec un quinquagénaire l’ayant ramassée sur la route (William Holden). Risqué, le sujet donne la mesure du talent d’Eastwood, qui signe un film minimaliste à l’écoute des sentiments et de la confusion de ses protagonistes, accompagné d’une réflexion sensible sur le temps qui passe. Le public n’est pas (encore) prêt à le suivre sur ce terrain, et le film connaît un échec retentissant. La carrière cinématographique de Lenz, pourtant excellente, ne s’en relèvera pas, la comédienne poursuivant néanmoins un fructueux parcours à la télévision.

Sondra Locke, force 6

Appréciée par le cinéaste lors des auditions de Breezy (mais écartée parce qu’un brin trop âgée), c’est ensuite au tour de Sondra Locke d’imposer une présence à multiples facettes dans l’£uvre d’un Eastwood dont elle est, par ailleurs, la compagne à la ville pendant une quinzaine d’années. Six films (et un téléfilm) balisent cette aventure commune, alternant le meilleur ( The Outlaw Josey Wales, The Gauntlet (L’épreuve de force) , Bronco Billy), le dispensable ( Every Which Way But Loose (Doux, dur et dingue) et sa suite, Any Which Way You Can (Ça va cogner), tournés respectivement pour Eastwood par James Franco et Buddy Van Horn), et enfin le profondément ambigu. Soit, en l’occurrence, Sudden Impact, le 4e volet des aventures d’Harry Callaghan où elle campe une femme violentée (une figure récurrente de son parcours eastwoodien) transformée en justicière vengeresse, et exonérée, en bout de course, de ses crimes par Harry -de quoi, en tout état de cause, donner du grain à moudre aux contempteurs du grand Clint. Il faut ensuite attendre une décennie pour retrouver une femme au premier plan d’un film de Eastwood, même si Martha Mason dans Heartbreak Ridge (Le Maître de guerre) ou Laura Dern dans A Perfect World font plus que de la figuration, et que les prostituées de Unforgiven (Impitoyable), pour être en retrait de l’action du western crépusculaire, n’en sont pas moins le déclencheur. Tourné en 1995, The Bridges of Madison County emmène le réalisateur sur un terrain où l’on ne l’attendait guère, celui du mélodrame. Le film retrace une liaison amoureuse intense mais sans lendemain qui, des années auparavant, en 1965, avait uni dans le plus grand secret une femme, aujourd’hui décédée, à un photographe de passage.

Des femmes avec un F majuscule

Le regard d’Eastwood est à la hauteur de la grandeur des sentiments évoqués, le réalisateur trouvant la juste distance pour aborder cette passion, que l’on devine être celle d’une vie, à l’abri de toute mièvrerie, mais sans déni de l’émotion, laquelle culminera lors de la scène, d’une sublime pudeur, des adieux. L’acteur s’y efface par ailleurs au profit de sa partenaire, Meryl Streep, qui trouve en Francesca Johnson un rôle inoubliable, dans ce qui reste l’un des plus beaux films… féminins de l’Histoire.

C’est là aussi le premier d’une série de portraits de femmes avec un F majuscule qui balisent la filmographie récente de Clint Eastwood. A Meryl Streep succède Hilary Swank, âme de Million Dollar Baby dans le rôle de Maggie Fitzgerald, une jeune femme dont le désir de monter sur le ring a raison des réticences d’un vieil entraîneur évoluant dans un désert affectif. Le réalisateur, qui joue aussi ce dernier, puise dans leur relation matière à un authentique chef-d’£uvre (pratiquement à hauteur de l’insurpassable Mystic River), inscrit au c£ur de la tragédie et de l’émotion vraie, et offre au passage à l’actrice, extraordinaire, un second Oscar.

La Christine Collins de The Changeling est, elle aussi, une battante, refusant de se résigner à la disparition de son fils, et en butte à un système désireux de s’en laver les mains à bon compte. Un sujet à la mesure du cinéma d’Eastwood, et un mélodrame sensible filmé au plus près des êtres, au premier rang desquels une exceptionnelle et frémissante Angelina Jolie. Que le réalisateur n’en ait pas encore fini de son exploration de la nature humaine, Hereafter en apporte aujourd’hui une nouvelle démonstration, avec cette fois Matt Damon et Cécile de France aux premières lignes: 40 ans après ses débuts de réalisateur, la démarche de Clint Eastwood n’en finit plus de se décliner au masculin-féminin…

TEXTE: JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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