Après ses aventures manouches, Thomas Dutronc débarque avec un album de chansons à la dégaine paternelle, saupoudrées de coolitude tzigane.

Il nierait être le fils de Jacques, on lui collerait d’emblée un test ADN: même visage de playboy tout-terrain, même sourire fondant, même maxi-vague capillaire. Mais ni cigare puant ni bande de potes envahissants en vue. Et pour l’heure de notre rencontre bruxelloise, la nuit vinicole a cédé la place à une sarabande d’eaux minérales devant lesquelles le trentenaire se montre naturellement affable. L’unique rejeton de Jacques Dutronc et de Françoise Hardy est conforme à la température de son premier album Comme un manouche sans guitare: cool et caustique.

Détendu mais charmeur. Le contenu du disque dépasse la boutade du titre: Dutronc junior en a écrit la plupart des textes et des musiques sur un mélange de jeux de guitares et de jeux de mots portés par une voix qui rappelle celle de son père. Un rôle plutôt inattendu pour un jeune homme d’abord obsédé par Django Reinhardt, légendaire guitariste manouche d’origine belge (1910-1953): « J’aime beaucoup la chanson, Brassens, mes parents, mais je me suis dit qu’il y avait assez de chanteurs dans la famille, diversifions!, plaisante-t-il. J’ai donc commencé la guitare, un peu par hasard, je devais avoir dix-sept ans. »

DJANGO TOUJOURS

Thomas se met à fréquenter les rades manouches parisiens et écoute les accords miraculeux faire son éducation, revenant sans cesse à Django. « Au-delà de sa perfection instrumentale, il me bluffe par son originalité, sa poésie européenne et sa liberté absolue! » Thomas est doué mais sans illusion: « Disons que si Reinhardt décroche la note 10, je dois atteindre le 0,5. » Modeste et un peu menteur forcément, puisque son jeu de qualité le balade bientôt au-delà des cercles jazz. Ainsi, il monte Thomas Dutronc et les esprits manouches avec son vieux pote Mathieu Chedid. Mise en scène soignée, entre « saucisson et ombres chinoises », déconnades calibrées, morceaux choisis et impros. « C’est la première fois que je revendiquais mon identité de Thomas Dutronc », remarque-t-il. Celle d’un mec qui dit respecter les gens, ayant toujours connu toutes les échelles sociales, « de Gainsbourg au boucher corse ». Terreau social naturel d’un gamin gâté, libre d’inviter ses potes dans la grande maison parentale: « Je travaillais bien à l’école, donc on pouvait tranquillement fumer des joints à la maison. C’était free mais j’étais garant de l’état des meubles… « , se souvient-il.

Jeunesse gentiment dorée qui lui donne aussi le goût de la bande, différente de celle de son père, un combo de Corses entre piliers de bar et cour de larbins. Goût de la Corse néanmoins, seconde patrie de Jacques, où Thomas se retrouve l’été dernier pour turbiner l’album. « Je pensais d’abord faire un disque instrumental et inviter des chanteurs mais tout le monde m’a dit de chanter, de ne pas me la jouer ( rires). » Il chevauche donc dix titres de sa voix agréable, les trois autres étant des instrumentaux voués à Saint-Django. Il aime le calembour façon « Vivre comme les nonnes/J’parle pas de John » ( J’aime plus Paris) ou « J’ai un bon fond d’investissement » ( NASDAQ).

IVRESSE DE LA CéLéBRITé

Sur ce disque qui démarre fort en France – déjà au-delà des 100.000 copies vendues – on entend la nostalgie de ses vingt ans perdus et une poignée d’anti-tubes comme Les frites bordel, hymne anti-haricot vert. « Je suis très gourmand: je n’ai pas de cholestérol mais parfois un peu de ventre… Tendance à manger un peu trop puis à être coincé dans mes fringues, merde! ( rires). » Mais attention, Thomas, 34 ans, a une éthique, il ne blague pas sur les spiritueux partagés avec le pater, généreux en champagnes précieux et vins rares. Morale: « Un mojito, j’vais m’coucher tard/Deux mojitos, j’vais m’coucher tôt » ( J’suis pas d’ici). Et quid de l’autre ivresse contemporaine, celle de la peoplisation familiale? « Il y a autant de cas de figures que de fils et filles de. Je pense que là où il y a des gênes, il peut y avoir du plaisir! C’est un vecteur assez puissant pour nos carrières et notre parcours dans la vie avec lequel il faut faire du judo, l’accompagner pour l’emmener ailleurs et trouver sa voie. Il me semble important de faire quelque chose qui, si je ne m’appelais pas Dutronc, fonctionnerait quand même. Je pourrai toujours aller dans un pays où personne ne me connaît, jouer du Django, donner des cours de guitare. J’ai de la chance parce que mes deux parents, bien que fous, s’équilibrent tous les deux! En tant que public, c’est vrai que cette célébrité me saoule! Il y en a trop! Qui pourrais-je donc tuer? » La question reste posée. l

CD chez Universal En concert le 30 janvier au Théâtre Royal de Mons et le 20 mars au Cirque Royal à Bruxelleswww.thomasdutronc.fr

TEXTE PHILIPPE CORNET

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