Entre le désir et son expression verbale, Emmanuel Mouret évolue avec un bonheur communicatif. Un baiser s’il vous plaît se savoure sans modération! Et soulève aussi la question du narcissisme des auteurs-acteurs.

Chez Emmanuel Mouret, quand il y a de la gêne, il y a encore et toujours du plaisir! En quelques années, ce jeune auteur et acteur s’est doucement mais sûrement situé au premier rang des talents de sa génération. Laissons Lucie faire (2000), Vénus et fleur (2003) et surtout Change- ment d’adresse (2006) ont permis au cinéaste-interprète de trouver un public fidèle et en constante augmentation. Un baiser s’il vous plaît amplifiera-t-il le phénomène? Mouret deviendra-t-il au cinéma français ce que Woody Allen est à l’américain? Les grandes qualités de son nouveau film autorisent tous les espoirs.

Un baiser s’il vous plaît débute à Nantes, où Emilie (Julie Gayet) rencontre Gabriel (Michael Cohen). Attirés l’un vers l’autre, ils hésitent à répondre à leur désir mutuel car chacun d’entre eux vit en couple et ne veut rien casser de cette vie familiale. Pourtant, Gabriel insiste pour obtenir d’Emilie un baiser, un seul. La jeune femme lui raconte alors l’histoire de Julie et Nicolas (Virginie Ledoyen et Emmanuel Mouret), dont l’exemple montre qu’un simple baiser présumé sans conséquence peut en avoir beaucoup.

Film drôle et touchant, moral sans être moralisateur, Un baiser s’il vous plaît se savoure comme un très bon vin, développant sur la durée des arômes inattendus. Emmanuel Mouret, une mèche coiffée vers la droite balayant le front, en pull et en chemise façon garçon sage, en parle avec autant d’enthousiasme que de justesse.

Focus: vous évoquez simultanément le désir et sa verbalisation, le corps et la parole, l’élan physique et les mots. Généralement, l’un est privilégié par rapport à l’autre. Dans votre film, le dialogue des deux est entretenu en permanence.

Emmanuel Mouret: absolument! Et cela se reflète déjà dans les choses que j’aime. J’adore la comédie de dialogues mais aussi le burlesque, qui rend le côte tactile, le toucher des choses. L’endroit qui m’intéresse est celui de la gêne, de l’embarras, d’une tension entre deux désirs. Chaque personnage éprouvant à la fois un appétit sensuel et l’envie d’être quelqu’un de bien, de ne rien détruire, de respecter autrui. Ce qui n’est pas forcément facile quand l’appel du désir physique, la pulsion érotique, se font entendre de plus en plus fort. Le cinéma, c’est filmer le désir, mais c’est aussi filmer l’Homme, donc l’Homme civilisé. Je m’y pose la question fondamentale des moralistes: que faire de ses désirs dans le cadre d’un groupe qui a ses usages et ses m£urs? Toute histoire porte sa morale, mais ici la question est posée d’emblée: faut-il le faire ou non?

Votre film propose-t-il un suspense sensuel?

C’est un de ses enjeux. Les mots portent le désir vers sa réalisation et en même temps le freinent, le brident. Plus on attend un baiser, plus on en parle, plus l’effet physique sera fort quand les corps se rapprochent, les lèvres se touchent. J’aime filmer l’attente, le suspense, la distance mise à la concrétisation du toucher.

L’écriture d’un tel film doit être un travail de grande précision, non?

La construction du récit est presque un travail de mécanique, oui. La structure doit être extrêmement précise avant que ne s’y posent les dialogues. Pour ces derniers, je me laisse plus libre, j’aime pouvoir être surpris par les chemins que prend la parole, par ses hésitations, ses détours.

Votre cinéma semble s’adresser non pas à la pluralité des spectateurs mais à chacun d’entre eux, pris individuellement.

Je cherche à établir avec le spectateur un rapport ludique. Un rapport de suggestion plutôt que d’illustration ou d’empoignade. Je ne force rien, j’invite. De la même manière qu’on dit, en littérature, que chacun se fait son roman, suivant le sens qu’on donne aux mots, je crois que l’imaginaire de chaque spectateur est aussi le lieu du cinéma. C’est-à-dire ce qui est hors-champ, ce qu’on ne voit pas parce que c’est dans une ellipse, ce qu’il y a derrière le regard du personnage… Là réside le mystère, le doute nécessaire. Que ce soit dans les dialogues ou dans la mise en scène, je fuis la redondance, le pléonasme, tout ce qui peut illustrer au lieu de suggérer.

Vos films ne font-ils pas, entre autre chose, l’éloge de la maladresse?

J’aime en effet beaucoup ces personnages forcément funambules qui se retrouvent au bord du déséquilibre, qui tombent puis se relèvent et continuent leur chemin, sans accuser la vie, sans se plaindre, sans ranc£ur ni amertume, sans pessimisme ni optimisme. Devant un mélodrame, on ne pleure pas parce que c’est triste, mais parce que c’est beau. Parce qu’on y voit des êtres résister au cynisme, tenter de se tenir droit dans l’épreuve. Je fais un cinéma où l’humour domine, mais mes films parlent au fond de la même chose. D’une forme de résistance.

Etre en même temps auteur et interprète favorise-t-il la familiarité des spectateurs avec votre cinéma, comme ce fut le cas pour un Woody Allen ou un Nanni Moretti?

C’est bien possible, en effet. Jouer soi-même ses films est une tradition chez les burlesques que j’adore, de Buster Keaton à Jacques Tati. Et sans doute, du moins pour ceux et celles qui y sont sensibles, cela crée un rapport de proximité plus intense avec le cinéaste qui est aussi l’acteur. Cela personnalise sans aucun doute la relation. Je n’y ai pas pensé lorsque j’ai – somme toute très logiquement – décidé de jouer dans mes films. Mais j’en suis devenu peu à peu conscient. Et si cela me permet d’augmenter peu à peu mon audience, j’en serai très heureux. Je n’ignore pas les réalités économiques du cinéma, et je souhaite enchaîner les films le plus rapidement possible.

Les questions sociales sont jusqu’ici absentes de vos films. D’aucuns vous en feraient le reproche.

Il est ridicule de confondre le cinéma et la vie! Ce n’est pas parce qu’on va filmer la classe ouvrière que l’on sera plus vrai! Beaucoup de gens le pensent, pourtant… Un film est une proposition, une forme donnée aux choses de la vie. Et la vie est protéiforme. Nul ne saurait parler de tout. Un peintre peut faire naître des correspondances à partir d’une simple nature morte. Un film ne doit pas forcément vouloir refléter la société pour créer des échos qui amènent le spectateur à y réfléchir. Le cinéma n’est pas la vie. C’est le cinéma. Et c’est déjà beaucoup.

www.tfmdistribution.com/unbaisersilvousplait/

TEXTE LOUIS DANVERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content