Du grand art

Avec Pray for Paris, Westside Gunn confirme qu’il est possible de perpétuer l’esprit hip-hop nineties sans tomber dans le revival. Magistral.

C’est la revanche des outsiders. À bientôt 38 ans, Westside Gunn vient en effet de sortir l’un des meilleurs albums hip-hop de ces derniers mois. Ce n’est pas complètement une surprise. Cela fait quelques années maintenant qu’avec Griselda -le label et le groupe formé avec son frère Conway The Machine et son cousin Benny The Butcher-, Alvin Lamar Worthy de son vrai nom affole le milieu. Signé sur le label d’Eminem, Griselda est affilié à Roc Nation, la boîte de management de Jay-Z, suscitant aussi bien l’admiration de Kanye West que celle de Raekwon.

À la base, le trio évolue pourtant à la marge de la planète rap. Ils n’ont pas grandi dans l’une des grandes métropoles hip-hop, mais bien à Buffalo -dans l’État de New York, certes, mais à plus de 600 km de Big Apple. L’histoire reste cependant la même. Celle d’une cité américaine fauchée par la désindustrialisation, minée par un racisme latent. Et dans laquelle le trafic de drogue et la loi des armes restent le lot des plus déclassés. Westside Gunn n’y a pas échappé, comme il n’évitera pas la prison. Après un séjour un peu plus long que d’habitude, il doit constater que, pendant qu’il croupissait derrière les barreaux, la scène d’Atlanta et la musique de club ont pris le pas sur l’école « classique » de la côte Est qu’il a toujours chérie. Il pense alors raccrocher. En 2012, son frère est cependant touché dans une fusillade -une balle dans l’épaule, une autre à l’arrière de la tête, qui lui laisse le visage à moitié paralysé. Au fond du trou, la fratrie joue alors le tout pour le tout, lance Griselda et multiplie les mixtapes (la franchise Hitler Wears Hermes). Avec d’autres -Roc Marciano, en tête-, ils remettent le boom bap et l’âge d’or des années 90 au menu des amateurs de rap.

Du grand art

Ce programme est encore celui de Pray for Paris, album quasi parfait dans son genre. Sa colonne vertébrale a été conçue en deux jours à peine, lors d’un voyage dans la capitale française. Invité à la Fashion Week de janvier dernier par Virgil Abloh, directeur artistique des collections Louis Vuitton, Westside Gunn en est reparti regonflé à bloc, décidé à transformer l’essai.

Tous les ingrédients de Griselda sont là: les samples simples et précis, les ambiances poisseuses, les histoires chelous à ras de bitume, et même les ad lib mitraillette, signature vocale du trio. La liste des invités (Roc Marciano, Freddie Gibbs, Joey Bada$$, Boldy James, etc.) et des producteurs (Daringer, The Alchemist, Tyler, The Creator) ne laisse planer aucun doute sur les intentions du jour. Sur Shawn vs. Flair, on retrouve même DJ Premier, qui sample au passage les voix de feu Phife Dawg et Prodigy. C’est la confirmation d’une ligne « classique », qui se retrouve même paraphrasée jusque dans la pochette -un détournement par Abloh de David avec la tête de Goliath du Caravage. « Ils me rappellent une autre époque, avouait récemment Drake, fan de Griselda. Ce n’est pas simple de faire une telle musique tout en restant cool et intéressant. » De fait, sans tomber dans le revival ou la nostalgie, Westside Gunn rumine un rap à la fois racé et visqueux. Et, il faut bien le dire, d’une classe magistrale.

Westside Gunn

« Pray for Paris »

Distribué par Griselda records.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content