WES ANDERSON ET PATRICE LECONTE REMETTENT AU GOÛT DU JOUR CINÉMATOGRAPHIQUE L’AUTEUR DE LETTRE D’UNE INCONNUE.

Wes Anderson s’en réclamant dans The Grand Budapest Hotel, Patrice Leconte adaptant Le Voyage dans le passé pour A Promise, et jusqu’à Lettre d’une inconnue, de Max Ophüls, renaissant à la faveur d’une étincelante édition Blu-ray (lire ci-contre): c’est peu dire que Stefan Zweig connaît, ces derniers temps, un retour en grâce cinématographique. De son vivant, déjà, le Septième art s’était emparé de l’oeuvre de l’auteur viennois -né en 1881, il devait se suicider avec sa femme en 1942 à Petropolis, au Brésil. Robert Siodmak, en Allemagne, avec Brûlant secret, John M. Stahl, le maître du mélodrame américain, avec Only Yesterday (Une nuit seulement), inspiré de Lettre d’une inconnue, ou Victor Tourjansky, en France, pour Vertige d’un soir (d’après La Peur), avec Charles Vanel et Gaby Morlay, comptent parmi les cinéastes s’attelant, dès les années 30, à traduire à l’écran la valse du temps et des sentiments chère à l’écrivain. Ce, tandis que W.S. Van Dyke transpose pour sa part, en 1938, sa biographie de Marie Antoinette en un biopic où Norma Shearer domine une distribution prestigieuse, réunissant encore Tyrone Power, John Barrymore ou Robert Morley.

L’attrait pour l’oeuvre de Zweig ne se dément pas avec ce temps dont il sut, mieux que quiconque peut-être, restituer la fuite, inexorable. De Maurice Tourneur à Victor Saville en passant par Antonio Momplet ou Maurice Elvey, on ne compte pas ceux qui s’y frottent ensuite, avec un bonheur inégal. Parmi ceux-là, Max Ophüls reste assurément celui qui sut porter l’art de Zweig à sa quintessence cinématographique dans sa version de Lettre d’une inconnue, film d’une absolue et déchirante beauté -à croire que la langue du nouvelliste avait trouvé là son metteur en scène idoine. Roberto Rossellini s’y essaie également, qui s’empare en 1954 de La Peur, pour son dernier film avec Ingrid Bergman. Laquelle se révèle splendide et frémissante, dans le rôle d’une femme adultère, bientôt objet d’un chantage masquant une machination plus amère encore, et ne pouvant que contempler « un terrible venin » s’insinuer dans son existence, pour un portrait féminin en clair-obscur.

La vie glisse comme un rêve

De nombreuses adaptations viendront encore, dont certaines fort estimables. Celle d’Andrew Birkin de Brûlant secret, en 1988, mérite que l’on s’y arrête qui envoie, dans l’immédiat après Première Guerre mondiale, une mère (Faye Dunaway) et son jeune fils asthmatique (David Eberts) dans un palace enneigé de la Mittel-Europa -on se croirait dans le Grand Budapest Hotel, déjà-, où la rencontre avec un aristocrate (Klaus Maria Brandauer) aura des conséquences multiples. « La vie glisse comme un rêve », nous susurre le scénario, ou comme ces trains qui peuplent l’univers de Zweig, emportant le souvenir d’amours enfuies voire de l’innocence. Laurent Bouhnik jette pour sa part, en 2002, son dévolu sur 24 heures de la vie d’une femme. Agnès Jaoui y reprend un rôle tenu autrefois par Danielle Darrieux (en 1968, dans une version de Dominique Delouche), et l’on retrouve, face à un Michel Serrault d’une gravité inhabituelle, la toute jeune Bérénice Bejo, pour un film à l’architecture singulière, récit à tiroirs tissant, par-delà les époques, le fil d’une passion dévorante, et de la mélancolie qui en découle. C’est encore cette dernière qui irrigue le Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, librement inspiré de l’oeuvre de Zweig en général et de La Pitié dangereuse, en particulier, calquant son ouverture sur son avant-propos, et en adoptant, peu ou prou, la structure narrative. Et y puisant un parfum de fin d’époque à valeur intemporelle -cette qualité voulant que les écrits du romancier viennois n’en aient pas fini d’inspirer les cinéastes d’horizons les plus divers.

TEXTE Jean-François Pluijgers

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