LA NATIONAL PORTRAIT GALLERY, À LONDRES, CONSACRE UNE EXPOSITION À AUDREY HEPBURN, LA STAR DE VACANCES ROMAINES ET BREAKFAST AT TIFFANY’S, INCARNATION DÉFINITIVE DU CHARME ET DE L’ÉLÉGANCE ESPIÈGLE, COMME DES CHANGEMENTS DE SON TEMPS.

L’exposition que consacre pour l’heure la National Portrait Gallery, à Londres, à Audrey Hepburn, s’intitule Portraits of an Icon, en toute simplicité. Et de fait, il y a là quelque chose qui tient de l’évidence, tant l’actrice britannique, née à Bruxelles (au 48 rue Keyenveld) en 1929, et décédée en Suisse 63 ans plus tard, incarna, mieux que quiconque peut-être, charme, élégance et glamour. Avec, toutefois, cette touche toute personnelle venue bousculer en douceur les stéréotypes alors en vigueur, à tel point qu’elle s’imposerait comme l’emblème d’une féminité moderne et indépendante. Et puis, cette présence, lumineuse, irradiant la pellicule jusqu’à la transcender; cet « élément X », comme l’appelait Billy Wilder, qui en connaissait un bout sur la question, ayant travaillé avec la comédienne à deux reprises, pour Sabrina, en 1954, et Love in the Afternoon trois ans plus tard. « Elle l’avait. Et il n’y en aura pas une autre, raconte-t-il dans ses passionnantes conversations avec Cameron Crowe. Elle existe toujours, dans son époque. Vous ne pourrez pas la reproduire, ni la sortir de son époque. Si l’élément X pouvait se distiller, vous pourriez fabriquer toutes les Monroe que vous voulez, et toutes les Hepburn… Comme ce mouton qu’ils ont cloné. Mais c’est impossible. Elle était complètement différente à l’écran et dans la vie. Ce n’est pas qu’elle était ordinaire, certes non. Mais elle a lancé quelque chose de neuf, elle a lancé quelque chose qui avait de la classe (…). » (1) L’on ne saurait mieux dire.

Sauce tartare et sauce piquante

Unique, donc (même si dupliquée, depuis, sur tous les supports possibles et imaginables, mugs, coussins, sacs, agendas, foulards, calendriers…), ce dont un saut au musée de St Martin’s Place suffit aujourd’hui à se convaincre. Si l’on y pénètre sous les regards croisés de Mike Leigh et Anna Wintour, accrochés aux cimaises parmi d’autres personnalités made in Britain, il n’y en a ici que pour Miss Audrey Hepburn, en effet, dont quelque 70 portraits ont été réunis, signés des plus grands photographes de l’époque, les Richard Avedon, Cecil Beaton, Angus McBean ou autre Irving Penn. Soit un régal pour les yeux, orchestré de manière classique, la scénographie respectant la chronologie, pour courir de Bruxelles (il y aura aussi Linkebeek) à l’Afrique, où la star devait officier comme ambassadrice de l’Unicef, grande dame sur et en dehors des écrans. Entre-temps, le parcours est enivrant, qui passe par les Pays-Bas, et les études de danse qui la conduiront à Londres, où elle entrevoit un temps une carrière de ballerine, déclinée de Sauce tartare en Sauce piquante.

Stanley Donen saura s’en souvenir quelques années plus tard, en 1957, et lui donnera Fred Astaire pour partenaire dans le délicieux Funny Face -Drôle de frimousse lui allant, cela dit en passant, comme un gant-, le duo y virevoltant de la tour Eiffel au Château de la Reine Blanche, au rythme des rebondissements d’une comédie musicale transformant une employée de librairie férue de philosophie en icône de la mode devant l’objectif d’un photographe (un personnage qui devait beaucoup à Richard Avedon). L’argument empruntait par ailleurs généreusement à la vie de l’actrice elle-même, « girl next door » dont la beauté, atypique eu égard aux canons de l’époque, se fera bientôt idéal féminin, en phase avec son temps et ses changements. C’est aussi cette métamorphose que donne à voir l’exposition, aux clichés d’enfance succédant les premières photos de mode et reportages de magazines, imposant la simplicité naturelle de l’actrice, quand sa photogénie n’est pas sollicitée pour l’une ou l’autre campagne publicitaire -ainsi, pour la lotion pour la peau Lacto-Calamine, parmi d’autres instantanés au vintage suranné. Entre-temps, l’espiègle Audrey a fait ses débuts à l’écran, multipliant les apparitions dans Rires au paradis, de Mario Zampi, The Lavender Hill Mob, de Charles Crichton, et autre Nous irons à Monte-Carlo, de Jean Boyer, film moins anecdotique que son titre ne le suggère, d’ailleurs. C’est en effet à la faveur de ce tournage monégasque qu’elle rencontrera Colette, qui la choisit pour être sa Gigi à Broadway, emploi qui aura le don de lui ouvrir les portes de Hollywood.

Une double histoire

La suite appartient à l’Histoire, suivant l’expression consacrée. Celle du cinéma, d’abord, qui voit Audrey Hepburn consacrée par l’Oscar de la Meilleure actrice dès son premier grand rôle, sous les traits d’une princesse se libérant du protocole le temps de Vacances romaines exubérantes en compagnie de Gregory Peck -difficile, en tout état de cause, d’imaginer couple hollywoodien plus séduisant. Le film de William Wyler ouvre une brèche dans laquelle s’engouffreront les Vidor, Wilder, Cukor ou autre Donen, tous sous le charme, guère résistible il est vrai, d’une comédienne proposant la gamme complète des dégradés romantiques, mais qui sut pourtant y apporter des nuances -nonne devant la caméra de Zinneman dans The Nun’s Story, par exemple, ou tentant une rare incursion dans le western pour John Huston dans The Unforgiven. Soit une carrière sans guère d’équivalent –« Audrey Hepburn était spéciale », dira encore Wilder-, que l’exposition documente à foison, à travers photos de plateau, planches-contacts, tests de costumes, clichés promotionnels, sessions en décors naturels, et autres. Portraits de Bud Fraker pour Sabrina, de Jack Cardiff ou Norman Parkinson pour War and Peace, de Sam Shaw pour Love in the Afternoon, de Howell Conant pour Breakfast at Tiffany’s, de Cecil Beaton pour My Fair Lady, de Douglas Kirkland pour How to Steal a Million…: tout porte ici à l’émerveillement, tant le style rayonne, que rehausse cette touche de glamour à laquelle Givenchy saura donner des couleurs -ou pas: la robe fourreau noire, mythique, de Breakfast, c’est lui également. Partant, c’est aussi une autre histoire qui s’esquisse, celle de la femme dans le XXe siècle, à laquelle Audrey Hepburn n’a pas peu contribué, icône au-delà de la seule fashion -les portraits de Irving Penn pour Vogue, en 1951; de Mark Shaw, dans les coulisses de Sabrina, en 1953, ou de Ondine, au 46th street theatre de New York l’année suivante; d’Anthony Beauchamp, ou encore de Philippe Halsman pour Life, en 1955, sont là pour le rappeler. Une dimension dont sa filmographie saurait d’ailleurs se faire le miroir, et qu’a su idéalement traduire Sam Wasson dans 5e avenue, 5 heures du matin (2), balade pétillante dans les coulisses de Breakfast at Tiffany’s, le classique de Blake Edwards sorti en 1961. Et d’écrire: « Comme ces hasards qui n’en sont pas vraiment, l’attribution du rôle de la « pas si gentille » call-girl Holly Golightly à la « gentille » Audrey Hepburn chamboula le destin des femmes au cinéma en personnifiant la mutation jusqu’alors inexprimée des stéréotypes sexuels en vigueur dans les années cinquante. (…) Qu’ils soient passés à côté ou n’aient pas su le définir immédiatement en ces termes, les spectateurs qui en 1961 firent la connaissance de la Holly Golightly incarnée par Audrey Hepburn furent confrontés pour la première fois au fantasme d’une vie faite de glamour, d’indépendance, d’extravagance, de folie douce et d’une liberté sexuelle tout en sophistication. Et le meilleur dans tout ça, c’est que les spectateurs pouvaient faire de ce fantasme une réalité. » Hepburn trouvera là son rôle définitivement emblématique –« ce que j’ai fait de mieux, parce que c’était le plus difficile », dira-t-elle. Cecil Beaton, qui travailla avec la star en diverses occasions, n’avait pas attendu les années 60 pour en faire l’incarnation de l’esprit de l’époque, qui écrivait dans Vogue en novembre 1954 qu’elle « illustrait le mieux notre nouveau zeitgeist. » Air du temps qu’Audrey Hepburn saurait rendre intemporel, de la plus exquise des manières…

(1) CONVERSATIONS AVEC BILLY WILDER DE CAMERON CROWE, ÉDITIONS ACTES SUD (2004).

(2) 5E AVENUE, 5 HEURES DU MATIN DE SAM WASSON, ÉDITIONS SONATINE (2012) OU POINTS (2014).

AUDREY HEPBURN, PORTRAITS OF AN ICON, JUSQU’AU 18 OCTOBRE À LA NATIONAL PORTRAIT GALLERY, LONDRES. WWW.NPG.ORG.UK

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Londres

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