ADAPTANT RUTH RENDELL, FRANÇOIS OZON SIGNE UN FASCINANT FILM TRANSGENRES, OÙ LA PERSPECTIVE DE FAIRE REVIVRE UNE MORTE ÉVEILLE DES RÉMINISCENCES DE HITCHCOCK TOUT EN BRASSANT LES NOTIONS DE DÉSIR ET D’IDENTITÉ.

Quinzième long métrage de François Ozon, Une nouvelle amie est là pour attester, si besoin en était, de la singularité de son cinéma qui, arrivé à pleine maturité, n’en finit pas pour autant de surprendre. Adaptant librement une nouvelle de Ruth Rendell, le réalisateur de Jeune et jolie s’y empare du sujet du travestissement pour mieux parler de la différence et des préjugés; encore le fait-il à sa façon, cultivant l’art du faux-semblant tout en brouillant les pistes entre farce et mélodrame, au point de pouvoir, à bon droit, parler d’oeuvre « transgenre ».

L’ouverture du film en annonce d’ailleurs la couleur, inusitée, où l’on découvre, au son de la marche nuptiale, une mariée dans son catafalque, manière presque métonymique de signifier une idée d’ensemble consistant à faire revivre une morte. L’on pense au Laura d’Otto Preminger par le prénom de la défunte, comme au Vertigo d’Alfred Hitchcock par la nature de l’entreprise, influences que Ozon reconnaît bien volontiers, lui qui, de 8 femmes à Dans la maison, a régulièrement lorgné vers le cinéma classique hollywoodien: « C’est mon ADN, opine-t-il. Beaucoup de gens de ma génération sont plus inspirés par le cinéma des années 60 ou 70, mais moi, je préfère les années 40 et 50, et ces films, souvent réalisés par des Européens, qui ont fait l’Age d’or de Hollywood. J’aime beaucoup cette période esthétiquement, avec le Technicolor, et une certaine idée du classicisme. Et puis, quand on voit Vertigo, c’est complètement dingue: voilà un film à la forme classique, grand public mais aussi nécrophile. J’apprécie l’idée de réalisateurs voulant faire des films commerciaux mais également exigeants, et traitant de thématiques personnelles et fouillées. C’est mon idéal de cinéaste: je n’ai pas envie de tourner des films pour une niche de spectateurs dans une cinémathèque. »

Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants

Le souci de toucher un vaste public, le réalisateur confie l’avoir ressenti plus particulièrement encore pour Une nouvelle amie. Et cela, eu égard au climat prévalant en France au moment où il s’est lancé dans l’écriture du scénario, reprenant là un projet d’adaptation qu’il avait caressé il y a une vingtaine d’années déjà. « Il y avait les manifestations anti mariage gay, et toute cette remontée ultra-conservatrice réac, et j’ai voulu faire un film qui puisse parler à ces gens-là, montrer la complexité du désir et la multiplicité des familles. Et montrer aussi que le désir se construit de manière étrange, tout en ayant la volonté de dédramatiser: finalement, ce n’est pas si grave, de vouloir changer de genre, ça dérange qui? » De là à savoir si le film sera suivi d’effet sur les mentalités, c’est là une autre histoire; au moins François Ozon aura-t-il jeté un pavé dans la mare d’un néo-conservatisme sévissant à tous les étages.

Si le contexte politique n’a pas été jusqu’à lui dicter le choix du sujet –« j’avais déjà commencé à travailler dessus »-, il l’a par contre aidé à en trouver la forme, « afin que cette histoire soit la plus universelle possible. Celle d’un conte de fées m’est apparue comme la plus appropriée, avec des personnages qui vivent un grand malheur au début, et qui vont en sortir, trouver un chemin et terminer par un happy end sur le mode « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants… » » Proposition portant en son sein un potentiel d’outrance que le film ne se fait faute d’explorer, le tout servi dans une mise en scène aux contours d’une parfaite limpidité, comme pour mieux faire rejaillir les aspérités du propos. « C’est ce qui m’intéresse. Un film doit être lisible à un premier degré, mais avoir plusieurs couches, que les gens percevront, ou non. Bunuel aussi faisait des films présentant un certain classicisme dans la forme, tout en racontant des choses complètement tordues. Le fait d’adopter une telle forme permet d’embarquer le spectateur plus facilement dans l’histoire, et de le faire entrer dans l’ambiguïté. Si la forme devait être à l’image des perversions que je raconte, le film ne serait pas accessible à grand monde… »

Ça a l’air bien, de mettre des talons

Pour le coup, François Ozon a donc opté pour une composition hybride, son film changeant fréquemment de ton, manière aussi de bousculer le spectateur confronté à un drôle de (mélo)drame. « Je fais partie des cinéastes postmodernes pour qui on ne doit pas nécessairement rester dans un cadre. J’aime ces décrochages, qui me viennent assez naturellement. Je voulais assumer le côté comédie du travestissement. C’est une vie dramatique en général, et pas forcément heureuse, mais je souhaitais aussi en donner l’aspect joyeux, le plaisir ludique qu’il peut y avoir dans le fait de se transformer. » Plaisir, d’ailleurs, nullement étranger à l’envie de Romain Duris de jouer le rôle du mari de la défunte, celui par qui la perspective du film va changer radicalement. Et le réalisateur de commenter: « J’avais lu qu’il avait envie de jouer le rôle d’une femme, je l’ai contacté, et on a fait des essais. Ce que j’ai aimé chez lui, c’est qu’il avait envie, il y avait beaucoup de désir, alors que je sentais d’autres acteurs un peu mal à l’aise. Mais Romain voyait cela comme l’apothéose du travail d’acteur, puisqu’il avait vraiment à composer, à se transformer. J’ai vu dans ses yeux le plaisir, le côté enfantin, et cela correspondait à ce que je souhaitais transmettre: je voulais que les garçons, dans la salle, se disent: « Ça a l’air bien de mettre des talons et une robe. » Et je trouve qu’il arrive à le faire passer. »

Si la prestation de Romain Duris ne laisse pas d’étonner, de même d’ailleurs que celle d’Anaïs Demoustier que l’on avait rarement vue aussi sensuelle, François Ozon s’est aussi réservé une apparition à l’écran, ludique et jouissive. Soit un caméo que n’aurait pas renié Hitchcock, on y revient, même si, au générique, c’est sous le nom de François… Godard que le réalisateur/acteur est crédité pour sa prestation. Manière d’en appeler, cette fois, au réalisateur de Masculin-féminin? « Godard, c’est le nom de ma mère. J’ai pris son nom, mais je pense que c’est la première et la dernière fois. » Voire…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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