Detlef Sierck et Douglas Sirk – Avant Douglas Sirk, il y eut Detlef Sierck. Quatre films de sa période allemande montrent les fondements de l’ouvre de celui qui allait devenir le maître du mélo hollywoodien.

La fille des marais, Les piliers de la société, Paramatta, bagne de femmes et La Habanera.Un coffret de 4 films, réalisés de 1935 à 1937. Dist: Twin Pics.

On ne soulignera jamais assez les mérites de Carlotta Films, à qui revient l’initiative de la réédition en DVD d’une bonne partie de l’£uvre de Douglas Sirk. Après 2 coffrets consacrés aux grands mélodrames hollywoodiens du cinéaste – ceux qui, de All That Heaven Allows à Imitation of Life, ont fait de lui un maître incontesté du genre, ayant influencé aussi bien un Todd Haynes qu’un Pedro Almodovar -, ce troisième volet plonge aux sources de son travail. Soit la période qui, au c£ur des années 30, devait le voir signer, sous son véritable nom de Detlef Sierck, une série de films pour la Ufa, à Berlin, avant qu’il décide de fuir le nazisme en prenant la voie de l’exil américain. Réalisés de 1935 à 1937, les 4 films ici réunis montrent un cinéaste en rapide devenir. Adapté de l’écrivain suédois Selma Lagerlöf, La Fille des marais est un drame rural qui voit un jeune homme engager dans sa ferme la servante à qui son ancien employeur a refusé de reconnaître son enfant. Soit la matière d’une £uvre qui, opposant 2 mondes et critiquant le poids de conventions étouffantes, exalte la noblesse des sentiments comme la grandeur du sacrifice. Sierck poursuit dans la même veine avec Les Piliers de la société, adapté d’Ibsen celui-ci. Le retour de Johann Tönnessen, parti tenter sa chance dans un cirque en Amérique 20 ans plus tôt, met une petite ville portuaire de Norvège en émoi, en même temps qu’il ébranle l’autorité de son beau-frère, consul omnipotent de l’endroit. Et offre à Sierck la matière d’un mélodrame social de vibrante facture, trouvant les chemins esthétiques de l’expression de la fatalité comme de l’exacerbation des sentiments.

L’insondable mélancolie de Zarah Leander

Réalisé 2 ans plus tard, Paramatta, bagne de femmes est hanté par la présence de Zarah Leander, actrice-chanteuse suédoise évoquant Garbo comme Dietrich, que Sierck était allé chercher à Vienne (il raconte cet épisode dans un excellent bonus). Elle y incarne Gloria Vane, chanteuse de cabaret à qui un capitaine de l’armée anglaise a promis le mariage à son retour des colonies. Ayant endossé un chèque falsifié laissé par l’indélicat, elle se voit toutefois condamnée à la déportation au bagne de Paramatta, en Australie. Comme l’indique son titre original, Zu neuen ufern, voilà le film qui amène Sierck vers de nouveaux rivages, Paramatta inaugurant la série des mélodrames flamboyants qui feront la notoriété du cinéaste. Mise en scène tendue vers l’exaltation des sentiments, lyrisme éclatant, on touche ici à la quintessence d’un art magnifié par l’interprétation de Zarah Leander qui préside à de bouleversants transports.

La matrice est voisine dans l’incandescent La Habanera qui, dans un Porto Rico de pacotille (le film fut tourné aux Canaries), nous la montre prisonnière d’un funeste mariage avec un notable local, et se consumant de nostalgie. Voir La Habanera, c’est frémir au son de l’insondable mélancolie se dégageant de la voix de l’actrice qui, à l’inverse de son mentor, allait continuer à travailler pour la Ufa, devenant la star du IIIe Reich – ce qui ne lui sera pas pardonné. Sirk quittera pour sa part l’Allemagne le film terminé, pour connaître l’exceptionnelle carrière américaine que l’on sait…

Jean-François Pluijgers

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