BEAU COUSIN DU FOOTBALLEUR CANNIBALE LUIS SUAREZ, L’URUGUAYEN DU QUEENS JUAN WAUTERS (THE BEETS) SE RACONTE EN ANGLAIS ET EN ESPAGNOL DANS UN DEUXIÈME ALBUM AUX CHARMES NONCHALANTS.

Fuyant le bruyant bouillonnement de South By Southwest, c’est au bord d’un petit cours d’eau, presque sous un pont, au milieu des camés et des SDF, qu’on se retrouve par une après-midi ensoleillée comme son accent, à tailler la causette avec Juan Wauters. Juan, qui a des origines belges dans son pedigree –« mon arrière-grand-père était de Bruges mais je ne sais pas si on a encore de la famille là-bas, on ne se réunit pas souvent entre Wauters »– est né et a grandi en Uruguay. Il ne débarque à New York qu’à l’âge de 17 ans. Peu de temps après le 11 septembre. « Mon père est arrivé d’abord, se souvient le lutin sud-américain. Je lui ai emboîté le pas et on a ensuite fait venir ma mère et mes deux frères. Nous avions dû acheter des faux permis de travail dans la rue pour pouvoir trouver un boulot. Nous avons commencé par travailler dans une usine qui fabriquait des cadres photos. Les premières années, quand tu atterris quelque part, tu mets toujours un peu de temps à comprendre comment ça marche. Tu restes dans le circuit des immigrés. »

D’autant que les Wauters posent leurs valises à Jackson Heights. Un quartier bigarré du Queens où ont habité Charlie Chaplin et le sulfureux « roi de tous les médias » Howard Stern. Où Alfred Mosher Butts a inventé le Scrabble et Chester Carlson l’ancêtre de la photocopie. « Le coin était à l’époque encore assez dur et dangereux. Tu y croisais pas mal de putes et de gangs. Je me suis parfois retrouvé dans de drôles de situations. Mais ça n’a jamais été un problème. C’était mon quotidien de toute façon. Je n’ai pas trop baigné dans les enroules parce que j’étais un étranger. Jackson Heights était le quartier le plus cosmopolite du pays. Tu y trouvais des hispaniques, des Indiens, des Pakistanais, des Bengalis, des Coréens, des Chinois… Je traînais avec les mecs de mon bloc. On jouait au foot américain dans la rue. Depuis, beaucoup de gens friqués s’y sont installés. Les lieux s’embourgeoisent. La culture change. »

S’il a déjà à son actif trois albums déglingués avec The Beets, qu’il n’a pas encore enterré (il envisage même une première tournée européenne), et un impeccable disque solo, N.A.P. North American Poetry (2014), le héros du garage folk new-yorkais n’a empoigné un instrument qu’en arrivant aux Etats-Unis. « J’ai commencé à jouer à la maison. Puis, j’ai rencontré un mec dans le quartier avec lequel on a monté un groupe. J’ai pris la musique à bras le corps mais tout est le fruit de coïncidences. Jamais je ne m’imaginais devenir musicien. »

Il a beau pleinement assumer son amour des Beatles et de Bob Dylan, le Sud-Américain rejette l’influence qui semble pourtant évidente des Moldy Peaches et de Jonathan Richman. « La scène antifolk était fort active à New York quand je m’y suis installé. Donc, j’en ai entendu. Un peu écouté. J’ai vu Adam Green et Jeffrey Lewis en concert. C’était bien. Et je les connais un peu. On a des amis en commun. Mais je suis tout sauf accro. J’aime leurs mélodies. Moins leur sens de l’humour. Il érige trop souvent une barrière entre l’artiste et son public. Je suis plutôt un blagueur. Je regarde des comédies. Mais je n’aime pas vraiment rire en écoutant des chansons… Je prends sans doute mes textes trop au sérieux. »

Autobiographiques, ceux de son nouvel album Who Me?, dont le titre est une référence à l’un des personnages, Beetlejuice, du Howard Stern Show qu’il écoute religieusement depuis des années, parlent de relations amoureuses pas claires, de vie parentale par procuration…

Créatures célestes

Comme beaucoup d’immigrés, a fortiori tardivement déracinés, Juan, qui se sent américain après treize ans passés dans le Queens, est resté profondément marqué par ses origines et son enfance uruguayennes. « J’ai grandi avec la musique de mes parents. Notamment avec le grand compositeur argentin Astor Piazzolla qui a modernisé et révolutionné le tango. Un type assez controversé parce qu’on n’aime pas, la plupart du temps, les gens qui touchent à la tradition. Etre loin de chez moi m’a rendu nostalgique et a renforcé l’intérêt que je porte à la culture de mon pays natal. »

Pourquoi je joue de la musique? Est-ce que je le veux vraiment? Qu’est-ce que j’en attends? Le singer songwriter se reconnaît dans le travail et les dilemmes d’Alfredo Sita Rosa. Il idolâtre Jaime Roos. « Il a inventé la musique uruguayenne des années 80 et 90. » Loue le poète Horacio Ferrer. Et revendique l’influence d’Eduardo Matteo. « Matteo a commencé dans un groupe pop expérimental mélangeant sonorités locales et musiques occidentales. Un peu dans l’esprit du tropicalisme. Ce que j’essaie de faire à ma manière même si c’est plus commun aujourd’hui. Il a sorti très peu d’albums. Parce qu’il était fou et SDF. Il vivait dans la rue avec sa guitare. Et de temps en temps, un de ses amis venait le chercher pour enregistrer un disque. »

Soutenu par le label Captured Tracks (Mac DeMarco, Beach Fossils…) qui sort ses disques, Wauters l’est aussi par le footballeur Luis Suarez qui l’a d’ailleurs invité chez lui à manger. « Non, je n’étais pas le dîner, rigole Juan. Suarez a épousé l’une de mes cousines. Il est venu me voir en concert quand j’ai joué à Barcelone. C’est un cool. Un mec passionné. Les gens ne le comprennent pas tout le temps. Mais je le soutiens. Il a déconné. Il a niqué notre Coupe du monde. Mais en même temps, c’est un artiste. Et les artistes souvent valorisent dans la performance ces moments où ils se perdent. On ne nous accorde plus vraiment le droit d’être fou aujourd’hui et ça craint. » Pas mieux…

WHO ME?, DISTRIBUÉ PAR CAPTURED TRACKS/KONKURRENT.

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LE 09/09 AU BOTANIQUE, LE 10/09 AU ROCKERILL (CHARLEROI).

RENCONTRE Julien Broquet, À Austin

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