LES RÉALISATEURS ISRAÉLIENS RONIT ET SHLOMI ELKABETZ APPORTENT LA DERNIÈRE TOUCHE À UNE TRILOGIE ENTAMÉE IL Y A TOUT JUSTE DIX ANS AVEC PRENDRE FEMME. L’UN DES TEMPS FORTS DE LA RENTRÉE.

Salué depuis une dizaine d’années maintenant, le renouveau du cinéma israélien a vu l’éclosion d’une imposante génération de cinéastes, les Eran Riklis (Les Citronniers), Samuel Maoz (Lebanon), Ari Folman (Waltz with Bashir) ou autre Joseph Cedar (Footnote), par exemple. Parmi ceux-là, encore, Shlomi et Ronit Elkabetz, frère et soeur réalisant, depuis dix ans, des films à quatre mains le plus souvent, à quoi la seconde ajoute un beau parcours d’actrice. C’est d’ailleurs elle la Viviane Amsalem qui donne son titre français à leur dernier opus, Gett (1), un maître huis clos mettant en scène une femme voulant obtenir le divorce. Et qui, sa requête introduite devant le tribunal rabbinique, seul à même d’en juger, se trouve confrontée à l’absurdité d’un système suspendant toute décision au consentement du mari -Simon Abkarian, en l’occurrence. En résulte un film d’une force peu banale, récit jeté, tel un pavé dans la mare, dans les contradictions et les archaïsmes de la société israélienne; l’un des temps forts de la dernière Quinzaine des Réalisateurs cannoise, et de la rentrée cinématographique à venir…

Aspiration à la liberté

Avec Le procès de Viviane Amsalem (en écho au Procès de Jeanne d’Arc, de Bresson, et partant à Dreyer), le duo apporte la dernière touche à une trilogie entamée il y a dix ans déjà: « Je vivais à New York à l’époque, se rappelle Shlomi. Et Ronit, qui habitait Paris, m’a suggéré que l’on se voie pour discuter de l’une de ses idées. Nous voulions tourner trois films autour de Viviane Amsalem, pour explorer la quête de liberté de cette femme à trois niveaux différents: le premier, Prendre femme, la montrerait face à elle-même; le deuxième, Les Sept Jours, ausculterait la relation entre cette femme, la famille élargie et la société; et le troisième envisagerait son rapport avec la loi, l’Etat. Tout se trouvait dans la première scène de Prendre femme, où on la voit avec ses frères, et où tout le monde veut la convaincre de rester alors qu’elle aspire à partir. Mais elle reste, parce qu’elle sait que la loi ne le lui permettrait pas. Après quoi la trilogie commence. » D’un volet à l’autre, le spectre s’est donc élargi de la sphère privée à celle de la société israélienne considérée dans son ensemble, embrassant une réalité sur laquelle les réalisateurs portent un regard critique. Ainsi, Gett vient-il témoigner d’une disposition légale qui semble avoir survécu à d’autres temps, anachronique mais pourtant incontournable. « Le film est tout à fait contemporain, et complètement réaliste, souligne Shlomi Elkabetz. Aujourd’hui, tout comme il y a 4000 ans d’ici, c’est une loi religieuse qui prévaut en matière de divorce en Israël. Une femme souhaitant le divorce doit introduire une demande devant un tribunal religieux, mais seul le mari est habilité à le lui accorder. C’est une question on ne peut plus actuelle: d’après les statistiques, des milliers de femmes sont dans l’attente d’un divorce. Et si l’on prend en compte celles qui doivent patienter moins de 18 mois, les chiffres explosent. Cette loi a des effets tétanisants sur les femmes, parce qu’elles savent que le pouvoir se trouve en définitive entre les mains de leurs maris. » Et si d’aventure, il prenait à l’une d’elles l’envie de recouvrer sa liberté sans rendre de comptes à quiconque, ce serait pour se voir mise au ban de la communauté. Ce qui s’apparente à la quadrature du cercle…

Cette situation kafkaïenne, Gett l’aborde de manière aiguisée, suivant audience après audience, mois après mois, année après année, le combat d’une femme résolue à ne pas baisser les bras. Tandis qu’arguties et passes d’armes se succèdent, violentes ou douloureuses, le propos s’impose dans toute sa force et son absurdité. « Le sujet n’a jamais été abordé au cinéma parce que les tribunaux rabbiniques sont des lieux clos. A défaut de pouvoir y pénétrer, nous avons passé beaucoup de temps dans les couloirs, à écouter ce qui s’y disait, et à enregistrer les réactions des uns et des autres. » La procédure respectant par ailleurs un protocole immuable, les deux auteurs ont construit leur scénario avant de le soumettre à deux rabbins et deux avocats, histoire de s’assurer de sa pertinence. « Ils n’ont rien trouvé à y redire », observe Shlomi Elkabetz.

Si Gett s’imprime de manière sensible dans la mémoire du spectateur, c’est aussi grâce à l’ingéniosité de sa mise en scène, astreinte pourtant au huis clos. « Nous avons décidé de ne pas imposer de point de vue objectif, mais bien celui des différents protagonistes. On découvre l’histoire à travers le prisme des personnages… » Ou comment la subjectivité s’impose à un cadre supposé objectif, le travail sur la lumière permettant, pour sa part, de prendre la mesure du temps qui passe à l’extérieur mais qui, pas plus que les manoeuvres dilatoires, n’entamera la détermination de Viviane. Au-delà de sa personne, c’est bien sûr la condition de la femme en Israël qui est l’enjeu du film, et d’un combat ne s’étant pas achevé dans la salle de montage. « Mon expérience m’a appris que le cinéma pouvait susciter des débats, relève encore Shlomi Elkabetz. Mon film précédent, Testimony, qui réunissait des témoignages de soldats palestiniens et israéliens, en a fait l’objet pendant des semaines. J’espère que l’impact de Gett sera plus fort encore. Nous allons tout faire pour. »

(1)GETT (LE PROCÈS DE VIVIANE AMSALEM), SORTIE LE 10/09. CRITIQUE DANS FOCUS DU 05/09.

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers, À Cannes

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