Dinos à ronger

© FIFOU

Avec ses rimes virtuoses, Dinos sort un deuxième album à la fois moderne et classique, qui devrait l’imposer au sommet du rap français.

Tout va vite, très vite. Dans le rap jeu français en particulier. Pas loin de la surchauffe, la machine a besoin de carburant en permanence: des grosses cylindrées mais aussi de nouvelles têtes. Des pousses de plus en plus jeunes pour agiter les réseaux, alimenter les conversations, combler les appétits voraces. En 2019, la « sensation » de l’année s’appelle Gambi, à peine 20 ans. Soit un an de plus que Koba LaD, autre blockbuster de l’année dernière.

Que faire alors, quand, comme Dinos, on squatte la scène depuis un moment déjà? Que l’on n’a pas lâché ses premières rimes sur SoundCloud, mais en bas des tours, lors de battle à l’ancienne (la série Rap Contenders sur YouTube)? Que l’on a toujours davantage pensé en punchline (son premier surnom Dinos Punchlinovic) qu’en ad lib accrocheur ( skrr skrr!)? Et que l’on a donné ses premières promos sans l’intervention d’un styliste pour vous refiler un nouveau sweat entre chaque interview?

À 26 ans, Jules Jomby, de son vrai nom, n’est pas vraiment vieux. Mais il n’est plus tout à fait jeune. Il a attendu 2018 pour sortir son premier véritable album, Imany. Sur le morceau Argentique, il racontait: « Je suis mort avant de naître », comme s’il avait conscience d’avoir loupé le coche. Question de timing toujours. Sauf qu’au royaume du streaming, les verrous les plus solides peuvent être forcés…

Enfant du rap

Loin des têtes de gondole, Dinos a en effet trouvé sa place. Laquelle? Il l’explique sur On meurt bientôt (la mort de nouveau…), qui ouvre son nouveau Taciturne: « Je suis le mec que tout le monde aime bien, mais qui vend pas de skeud ». En l’occurrence, c’est peut-être le meilleur endroit qui soit pour une musique qui cherche moins à rassembler qu’à convertir.

Né à Douala (Cameroun), Dinos a grandi en banlieue parisienne, à La Courneuve, avec le rap comme bande-son de son quotidien. Taciturne est donc d’abord un album de passionné, bourré de citations: de Booba (le sample de Tallac) à Claude M’Barali ( « Je suis le nouveau Solaar »), de Nubi ( Mack le Bizz freestyle) aux Neg’Marrons (l’intervention de Jacky sur N’Tiekar). Un album de rappeur pour les rappeurs? Dinos évite l’écueil en proposant surtout un disque hyper personnel.

Dinos à ronger

Le noir et blanc d’ Imany avait déjà montré que le spleen était désormais le principal moteur d’écriture de l’intéressé. Taciturne confirme. Ici, la mélancolie est reine, et l’amour un concept quasi abstrait – « L’amour, j’le vois pas mais j’en entends parler tous les jours », sur Oskur. Disque « d’hiver », Taciturne n’est pas pour autant monochrome -la rigolade de Wouuh ou même Frank Ocean. Mais en creusant ses états d’âme, Dinos a la plume sombre et volontiers désenchantée. Virtuose aussi ( N’Tiekar), capable des plus grandes fulgurances – « Il m’a fallu des chaînes en or pour me rendre compte que je suis esclave du temps » ( Quand les cailleras prient)-, comme des considérations les plus génialement triviales – « Je mange des quesadillas dans une caisse à dix liasses » (XNXX). Un vrai tour de force.

Dinos

« Taciturne »

Distribué par Universal. En concert le 05/05 aux Nuits Botanique.

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