Le rockus belgicus est-il une espèce de survie? Patrick Codenys, de Front 242, parle de ses 3 décennies de musicien à la belge: du contrat à un million de dollars avec Epic à la gestion intemporelle de sa petite entreprise de body-music. Parcours monétaire arrivé près de chez nous.

Quand Front a débuté en 1980, je travaillais à l’administration communale de Ganshoren, j’aidais notamment les chômeurs à écrire leur CV, j’ai aussi bossé dans le labo de nuit de Kodak. Fallait y croire, c’était une vie complètement spartiate« . Dans ce café d’Ixelles, par une optimiste journée de septembre, Patrick, né en novembre 1958, s’affiche affable et calme. Loin de l’assaut métronomique d’un groupe précurseur, dont l’esthétique musicale a également produit une conduite des affaires particulière. Entamé il y a 29 ans, le parcours des 4 frontistes de base – Patrick Codenys, Jean-Luc de Meyer, Richard 23 et Daniel B – est aussi celui de la découverte d’un univers sans manager ni label spécialisé.  » Dans un premier temps, on s’est complètement autoproduit, juste avec l’assistance d’un petit label de Bruxelles, New Dance. Tout l’argent gagné par nos boulots était investi dans le matériel et le studio« . En 1982, le premier album, Geography, pressé à 1000 exemplaires (en vinyle) est vendu essentiellement par un magasin spécialisé à Bruxelles, La Strada.  » On m’a demandé de venir chercher les 200 invendus qui sont restés 15 ans dans le garage de mon père. Quand je les ai redécouverts, Geography s’était écoulé à 300 000 exemplaires et les originaux étaient des collectors. » Front crée une asbl (sans but lucratif) et engage les musiciens au fur et à mesure des rentrées:  » Au tout début, Front jouait pour… rien, puis les cachets sont passés de 20 000 francs belges à 30, à 100, à…. »Aujourd’hui, dans un milieu qui reste extrêmement taiseux sur l’argent, Patrick joue franc-jeu et dit que, selon les circonstances, Front 2009 demande entre 8 000 euros (formule club) et 25 000 euros (festival). De l’asbl, le groupe forme une sprl en 1989, Patrick ne devient salarié de Front qu’en 1988:  » Nous sommes alors des indépendants recevant un salaire de la firme de disques, RRE (Pias), le statut d’artiste n’existe pas et la Communauté Française ne nous supporte pas parce qu’on chante en anglais. » Mais le groupe a le vent en poupe: il signe des licences de disques avec différents pays:  » Le plus gros contrat a été en 1992 lorsqu’on a reçu un million de dollars d’avance d’Epic USA pour 2 albums. » Ceux-ci sont livrés clés sur porte. Front découvre que son label RRE (Pias), structure paneuropéenne, exploite la musique du groupe avec  » plein de deals annexes et pratiques que le groupe considère comme suspectes(sic) « . Front est en procès avec (RRE) Pias depuis 1997 sur un litige qu’il estime à plusieurs centaines de milliers d’euros. Douze ans plus tard, l’affaire non jugée traîne au pénal mais Front tourne toujours – 25 dates par an, un peu partout dans le monde – et confie ses sorties de disques à Alfa Matrix, plate-forme qui ramène 1 euro au moins par CD ou download vendu.  » Notre dernier album, le live Moments décliné en 3 objets, dont un beau coffret, s’est vendu à 20 000 exemplaires, et atteindra sans doute les 30 000. » A ces chiffres plutôt décents, il faut rajouter ceux du merchandising, environ 1 000 euros par soir, avec de plus rares pointes de fièvre à 5 000:  » Ce sont des produits de qualité, le tee-shirt est indestructible et finit généralement comme pyjama. » Patrick vit comme  » un cadre moyen » et n’est pas propriétaire de son logement. Artistiquement, entre ses cours à La Cambre, les symposiums en tous genres, les DJ sets et le groupe, l’ennui semble banni. Et personne ne sait s’il va dormir en pilou 242…

Texte Philippe Cornet

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