Derrière les lignes ennemies

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Après ses romans, son journal, sa correspondance, ses chroniques cinématographiques et littéraires -on reprend notre respiration-, voici les entretiens accordés par Jean-Patrick Manchette au cours de sa courte mais prolifique existence. On nous en avertit dès la préface: le marquis du néo-polar (appellation dont il est l’instigateur) “se méfiait de la presse”. Pourtant, poussé par ce qu’il qualifiait de “verbosité redoutable”, dans les conversations regroupées au sein de cet élégant recueil, il n’en paraît vraiment rien. Alors, des fauteuils d’apparences peu confortables de chez Bernard Pivot jusqu’à la très pointue revue Littérature, en passant par les publications les plus confidentielles, il s’épanche longuement et nous laisse entrer dans l’arrière-boutique: il révèle le montant de ses avances, devise volontiers sur son usage parfois expérimental des temps de conjugaison, etc. Surtout, il explique comment il a tenté de discrètement subvertir le genre polar de l’intérieur, tout en visant “le divertissement avant tout”. “Bigre!”, ou “saperlipopette!”, ajouterait-il. Au fil des interviews, l’artisan-écrivain assène incessamment sa rengaine pessimiste de la marchandisation de la culture, à laquelle il avoue participer -“je dois me soucier du prix du pain”; et expliquera comment lui, l’intello de gauche, a pu vendre les droits de certains de ses bouquins à Alain Delon… L’aficionado de Manchette sera évidement aux anges, l’aspirant écrivaillon se lancera peut-être pour de bon, et tous les autres découvriront un ton d’une liberté rare, quelques punchlines définitives et provocantes (“Diantre! L’art est terminé, depuis 1920”), et sauront pourquoi on lui doit les six derniers films de Robert Bresson. Bref, c’est passionnant (sapristi!).

Entretiens de Jean-Patrick Manchette réunis par Doug Headline, éditions de La Table ronde, 304 pages.

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