On ne l’a pas vu venir: après 3 albums, Jérôme Mardaga a décidé de mettre fin au projet Jeronimo, pourtant l’un des plus attachants de la scène rock belge. Explications.

Un billet posté sur son blog, début du mois, rien de plus(1). Son titre:  » Tuer l’apache pour tourner la page« … C’est de cette manière que Jeronimo a annoncé son « dépôt de bilan ». Après 3 albums, Jérôme Mardaga (Liège, 1972) a en effet décidé de tailler le scalp de son projet Jeronimo. L’an dernier, on s’était pourtant encore enthousiasmé sur Mélodies démolies, nouvelle preuve, brillante, qu’il y avait bien de la place pour sa « chanson belge avec guitares électriques » (sic).

On a donc retrouvé Jérôme Mardaga pour en avoir le c£ur net. Pourquoi? Comment? Attablé dans un café d’Ixelles, le musicien revient sur son texte, explique son soulagement et dessine son probable futur musical. Sur son dernier album, il posait ainsi la question Irons-nous voir Ostende? Aujourd’hui, c’est décidé. Cap sur l’E40, l’autoroute de la mer, pas de l’amer. Histoire d’à nouveau « ébranler nos barrages, ignorer nos âges »…

 » Quand le dernier album est sorti, j’ai eu une sorte de baby blues. Je n’avais pas beaucoup d’énergie pour le défendre, sur scène, dans la presse. C’était le signe qu’un truc ne cliquait pas. A la Toussaint, j’ai été passer quelques jours chez mon frère, en Italie, afin d’y voir plus clair. J’ai réécouté tous les disques. Ils forment une sorte de trilogie. Du coup, peut-être que c’est le bon moment pour tenter quelque chose d’autre… J’ai eu ma petite ration de lauriers. Et honnêtement cela n’a pas toujours bon goût. Contrairement à ce qu’on pense, le succès n’affranchit pas. Je donne des cours de guitare trois jours par semaine. Quand je rentre chez moi, je suis aussi content qu’après certains concerts. »

A propos de Mélodies démolies, tu écris sur ton blog:  » J’ai aimé chaque seconde de la conception du troisième dans la douceur de la Lombardie. (…) J’ai détesté en parler, le justifier, l’expliquer, le vendre. Ce troisième et dernier n’appartient qu’ à ceux qui l’ont réalisé. »

« C’est comme si le disque était resté là-bas. En général, c’est plutôt l’inverse: on est content de le voir sortir, et vivre sa vie. Dans ce cas-ci, le truc s’est vraiment passé en studio. Entre nous. Je me rappelle que Bang! avait proposé d’inviter des journalistes sur place. Pour nous, c’était hors de question! (rires). A la sortie, on a bu une bouteille de champagne, et il était un peu plat. On savait bien que cela allait être difficile… »

 » Même si ce n’est pas de la grande musique, le bilan général est positif. J’ai beaucoup appris. J’aime ces trois disques, chacun ayant les qualités de ses défauts. »

« La chose dont je suis le plus fier? Le morceau Irons-nous voir Ostende. Que je continuerai à chanter dans 20 ans, je pense. C’est ma « grande » chanson, ma seule (rires). Plus généralement, le projet reste improbable, difficilement rattachable à quoi que ce soit. Des regrets? D’avoir parfois cédé à des gens dont je savais pertinemment qu’ils avaient tort. Des options artistiques, des idées de promo, de licence à l’étranger… Mais je n’ai pas de ranc£ur. Tout le monde faisait pour un mieux. Et puis, j’ai su dire non aussi. On a toujours refusé de faire des t-shirts, par exemple. Pas de badge. Pas de stand merchandising. C’était une façon de se démarquer, de dire « moi je fais des disques ». C’était sûrement une erreur (sourire). Vu le créneau, il fallait être moins buté. »

 » S’éloigner un peu du méli-mélo « rock wallon », de sesnobles efforts et de ses erreurs de scénarios.  »

« Ce milieu est rempli de gens attachants. Mais cela n’empêche qu’il y règne une vraie compétition, des intrigues, comme partout… J’ai eu la chance d’assister à l’éclosion de la scène de la communauté française. Mais aussi de voir tout se péter la gueule en un an ou deux. Aujourdhui, un label comme Bang! n’existe plus… Tout cela a aussi pesé dans la décision. Le contexte est devenu plus rude, et du coup les gens deviennent plus durs aussi. Il faut que tout soit très carré. Ce n’est plus le bon contexte pour créer des choses… »

 » La destination c’est le voyage. La méthode, c’est l’improvisation. Le but, c’est capter l’instant. »

« Je voudrais travailler par phases. Des séquences de 15 jours dans des endroits variés: un grenier, une église, un château… J’accumule du matériel pour pouvoir enregistrer un peu partout. C’est ce qui compte aujourd’hui: sortir du cadre studio, promo, festivals… Je vais essayer. Si cela se trouve, je vais sortir une sombre merde. Ou alors simplement refaire la même chose. C’est possible aussi. »

 » Jeronimo s’arrête ici, au bon endroit, au bon moment, soucieux de laisser la voie libre à un autre projet »

« J’ai envie d’une musique plus lente, plus spacieuse, plus étirée. Des références? Cela fait 20 ans que j’écoute le travail de Daniel Lanois, aussi bien comme artiste ou producteur. Des groupes comme Talk Talk ou les Cow Boy Junkies aussi. En fait, je me dirige probablement vers quelque chose de plus classique, de plus folk. Avec beaucoup de silence… Aux dernières Nuits du Bota, on s’est retrouvé à jouer au Musée, dans une configuration très intime. Cela reste un de mes plus beaux souvenirs…

Je continue également à être fasciné par des gens comme Billie Holiday qui pouvait chanter Strange Fruit, sur les pendaisons dans le Sud raciste. Ou Dylan qui pond God On Our Side, un morceau kilométrique sur l’histoire violente de son pays. Des chansons qui, par ailleurs, passaient à la radio! Aujourd’hui, cela ne serait probablement plus le cas. On est devenu des pleutres. Je me rappelle que pour être programmé sur une certaine radio, on m’a demandé de changer des paroles:  » moi je voudrais de l’alcool au volant« , cela ne passait pas. Cela reste un très mauvais souvenir… Dans le futur, je m’orienterai donc probablement vers une forme plus traditionnelle, mais avec un propos qui va certainement se durcir.

Je veux surtout continuer à parler du pays. On est en Belgique, on a le décor, une matière très riche pour écrire des chansons. Mais peu de gens le font. C’est important de raconter ce qu’on voit autour de soi. »

(1) http://roma-caput-mundi.blogspot.com

Les 3 albums de Jeronimo, disponibles chez Anorak Supersport/Bang. Ultime concert, 16/01, à la Chapelle, Mons.

Rencontre Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content