Gérard Depardieu est formidable dans Mammuth, où il joue un pensionné. Mais ne lui parlez pas de retraite cinématographique!

Berlin, vendredi 19 février. Le Festival touche à sa fin, et Gérard Depardieu tient la forme. L’air heureux mais aussi concentré, il est venu pour la projection de Mammuth (sortie chez nous le 5 mai, critique dans le prochain numéro), le film du tandem Kervern-Delépine où il trouve son plus beau rôle depuis longtemps. L’abondant acteur y est magnifique en sexagénaire retraité de la boucherie et sillonnant les routes de France sur une antique moto pour récupérer, dans les entreprises où il a travaillé, les papiers nécessaires à obtenir sa pension. A l’étage du Berlinale Palast, où vient de s’achever la conférence de presse du film, Depardieu nous accorde quelques minutes pour faire le point. Sans langue de bois, avec la liberté de ceux qui ne doivent plus rien à personne. Même si c’est un beau cadeau que lui ont fait les duettistes anars de Mammuth

On vous a rarement vu plus détendu qu’aujourd’hui. Etes-vous à un moment de votre vie, de votre carrière, où la pression n’existe plus?

Cela fait un moment, déjà. J’ai pris mes distances avec un milieu du cinéma qui se caractérise, en bref, par 2 éléments majeurs: il y a beaucoup d’argent, et beaucoup de cons. L’argent me va, même si ce n’est pas mon moteur. Quant aux cons, il m’a fallu m’éloigner du milieu pour en voir moins. ça soulage… Maintenant, je vous dirai que même si je me suis retrouvé confronté aux pressions du métier, je ne me suis jamais pris au sérieux pour autant. Je suis comme ça depuis toujours. Aucune école ne vous apprend à ne pas vous prendre au sérieux. Ce qu’il y a, c’est qu’au fil des années et des expériences, on cherche de plus en plus la réalité des rapports, la vérité des rapports, dans la vie avec les gens qu’on aime et aussi avec ceux qu’on ne connaît pas. Je marche à la curiosité. Mais quand on est curieux, il faut faire attention. A ne pas choquer les gens, d’abord. Et à trouver la bonne distance, pour qu’ils vous laissent les connaître… Quand vous êtes libre vous-même, vous pouvez vous approcher de tout le monde.

Vous sentez-vous aussi libre que quand vous faisiez Les Valseuses, voici déjà 36 ans? On ne peut qu’établir un parallèle entre ce film et Mammuth: 2 propositions radicales, 2 univers uniques, et vous qui vous y lancez à fond, sans retenue…

Je me sens aussi libre, oui, en ce sens que je n’ai pas plus aujourd’hui qu’alors de plan de carrière. Je ne cours pas après la reconnaissance, je n’ai pas ce genre d’ambition. Ce ne sont pas les rôles, mais bien la vie, les gens, qui m’importent. Quand vous ne calculez pas, vous pouvez en effet vous lancer à fond dans de vraies aventures subversives comme le sont ces films (mais aussi d’autres comme ceux de Marco Ferreri, de Maurice Pialat, de Pasolini). Mammuth fait partie de ce cinéma d’art et d’essai. Je fais certes aussi des films qui sont des machines commerciales. Mais mon amour va aux films en prise directe avec l’art, c’est-à-dire avec la vie.

Vous n’avez pas de regrets, comme celui par exemple d’avoir refusé une autre proposition radicale: Breaking The Waves de Lars Von Trier?

Je venais de travailler avec Godard, à l’époque. Et je m’étais déjà tellement emmerdé! Quand Lars Von Trier est venu me proposer son film, il m’a assommé d’explications. Je me suis demandé ce que je pourrais bien faire avec un type qui parle tout le temps, qui explicite tout. Moi, j’attends qu’on m’inspire, pas qu’on m’explique! ça me barbe. Je ne suis pas un intellectuel. J’aime les choses qui se passent de mots. Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu et aimé faire Mammuth, c’est qu’il ne me fallait pas jouer. Juste être, vivre. Je n’aime rien plus que ça.

Vous devez aussi aimer le grain de l’image, le parti pris organique du film?

C’est de l’art, absolument de l’art, dans le moindre cadrage. Et en même temps de la vie, rien que de la vie. Comme dans les meilleurs films d’Almodovar. La pensée, la pensée profonde, s’y incarne physiquement dans l’image. Ce n’est pas du cinéma normal…

Pas question de penser à la retraite, comme le personnage du film?

Mais non! Vous savez, je ne travaille pas. Alors comment pourrais-je prendre ma retraite ( rire)? Je vis, simplement. Et on ne prend pas sa retraite de la vie. On meurt. Et c’est tout. En vivant le plus pleinement possible, avant. Je fais des films, du vin, je tiens un restaurant(1), bientôt aussi un hôtel, je fais la cuisine, j’élève des moutons, des cochons que je dépiaute moi-même ( rire)… Je ne manque pas d’occupations et toutes me donnent du plaisir!

Votre personnage dans Mammuth semble l’avoir perdu, le plaisir, à un moment donné…

Il a perdu son appétit de vivre, comme tant de gens pour qui le travail ne représente plus la moindre joie, mais juste une obligation pour payer le loyer, la bouffe. Mon père, ouvrier tôlier, éprouvait de la joie à travailler de ses mains, à faire des choses et à bien les faire. Je ne pense pas qu’aujourd’hui il y en ait encore beaucoup comme lui.

Vous avez pensé à votre père en faisant le film?

Oui, bien sûr. D’autant que lui, il est mort avant d’avoir pu prendre sa retraite… Mais les souvenirs, ce n’est pas du passé, pour moi. C’est du présent. Les gens que vous aimez ne meurent pas vraiment. Ceux que j’aime et qui ne sont plus vivent encore en moi. François Truffaut, Maurice Pialat, vivent en moi. Et Guillaume, bien sûr… l

(1) La Fontaine Gaillon, dans le deuxième arrondissement de Paris.

Rencontre Louis Danvers

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