EN RETRAIT DU TRIANGLE AMOUREUX DE 3 CoeURS, LA STAR Y PORTE UN REGARD AVISÉ SUR LES CAPRICES DE L’EXISTENCE. ET PAPILLONNE, DANS LA FOULÉE, À LA SURFACE DE SON PARCOURS D’EXCEPTION

Catherine Deneuve débarquant sur le Lido, il n’en faut pas plus pour que la température de la Mostra monte de quelques crans. Portant beau ses 70 printemps, l’actrice, accessible et souriante, n’en est pas moins jalouse d’un temps qu’elle n’accorde qu’avec parcimonie. On se retrouve ainsi à une dizaine de journalistes venus des quatre coins du globe pour les 27 minutes d’un entretien qu’elle conduit en anglais -ce n’est pas pour rien, après tout, qu’elle tourna pour Stuart Rosenberg dans April Fools, ou encore pour Tony Scott aux côtés de David Bowie dans The Hunger; un film dont l’évocation lui arrachera une marque de surprise: « Trente ans déjà? Mon Dieu, ce n’est pas vrai… »

C’est toutefois le privilège des plus grands d’exister dans la durée. Et le parcours de Miss Deneuve est, à cet égard, exceptionnel qui, entamé avec les années 60 aux côtés des Polanski, Demy, Truffaut ou autre Buñuel, la voit continuer à être désirée par des réalisateurs aussi divers que François Ozon, Christophe Honoré, André Téchiné, Pierre Salvadori ou, aujourd’hui, Benoît Jacquot. Des retrouvailles, en l’occurrence, puisqu’ils avaient déjà collaboré il y a tout juste dix ans pour le téléfilm Princesse Marie, où elle campait Marie Bonaparte. La perspective de 3 coeurs est sensiblement différente, la comédienne y tenant un rôle en retrait, mais pas moins fondamental pour autant: celui de la mère assistant, impuissante mais pas moins perspicace pour autant, au curieux ballet amoureux impliquant ses deux filles. « Pour être honnête, je n’avais pas grand-chose à jouer. Et c’était plutôt désinvolte, à l’exception de l’un ou l’autre regard à porter d’une personne à l’autre. Mais j’aimais ce scénario, et j’étais ravie d’être associée à ce projet… », commente-t-elle. Et si son rôle est objectivement effacé, elle s’en acquitte toutefois avec un bonheur rare –« c’est très impressionnant, à quel point elle sait faire oublier en même temps qu’elle joue, qu’elle tourne et, une fois qu’on la voit à l’écran, qu’elle est Catherine Deneuve, souligne Benoît Jacquot. A charge pour moi de faire en sorte que le personnage qu’elle joue se prête à l’art et à la technique qui sont les siens. Il suffit de la faire cuisiner, de la faire manger, et ça va très bien. Tout de suite, elle est à son aise. » Voir les (nombreuses) scènes de repas de 3 coeurs suffit à s’en convaincre, tant il y a là un sentiment de naturel, renforcé encore par le fait que l’actrice y donne la réplique à sa fille, Chiara Mastroianni. « Quand son nom a été cité parmi d’autres, j’ai dit « bien sûr », sourit-elle. Travailler avec sa fille peut paraître curieux a priori, mais une fois que l’on se trouve sur le plateau et qu’on commence à répéter, on n’y pense plus du tout -nous ne sommes que deux actrices au travail. »

Une question de contrôle

Trois films en 2014, et autant de projets sur le feu, dont le prochain film de Jaco Van Dormael, Le tout nouveau testament, où elle joue une apôtre –« son univers est tellement inhabituel et spécial, poétique et drôle à la fois »-, l’assiduité de Catherine Deneuve ne manque pas d’impressionner. « J’aime jouer. Tant que je lirai des scénarios intéressants avec des rôles à l’avenant, je n’envisagerai pas d’arrêter. Je n’y ai d’ailleurs jamais pensé sérieusement. » Au besoin, elle sait aussi forcer la chance, comme lorsqu’elle sollicita Lars von Trier après avoir été éblouie par Breaking the Waves; ils devaient tourner ensemble Dancer in the Dark. Emet-on l’hypothèse que le cinéma soit moins passionnant aujourd’hui qu’à l’époque de ses débuts, qu’elle s’inscrit en faux: « Le cinéma est aussi excitant aujourd’hui, c’est ce qui l’entoure qui a changé. Les médias sont devenus tellement envahissants, de nos jours: avant, l’intérêt se portait sur ce que vous faisiez, et vous aviez votre vie à côté. Désormais, avoir cette vie à soi n’est plus aussi simple, il faut être beaucoup plus exposé, tout va plus vite, et c’est beaucoup plus difficile… Même si, en ce qui me concerne, c’est trop tard, je ne participe pas à cette frénésie, je dis non, c’est tout. Mais je ne voudrais pas débuter comme actrice aujourd’hui, avec Internet et tous ces supports que l’on ne peut contrôler… »

Son image, l’actrice y veille avec soin, en effet. Entendant, c’est bien le moins, en disposer à sa guise. Ainsi lorsque, il y a quelques mois, on la découvrit en body dans le New York Magazine. « J’ai fait cette session de photos avec Dominique Issermann parce que je la connais très bien. Elle est arrivée pendant que je me préparais, et m’a dit que la lumière était bonne et que les photos donneraient bien. Je savais, venant d’elle, que si ce n’était pas le cas, elle n’utiliserait pas ces clichés, et voilà… Un autre photographe ne m’aurait jamais vue en body, mais il n’y avait là aucune intention particulière, c’était juste un moment, comme cela, il ne faut pas y voir une prise de position. » Rien à voir, en tout état de cause, avec une expérience lui ayant laissé un souvenir cuisant lorsque, en octobre 1965, elle posa pour l’édition américaine de Playboy. « C’était il y a très longtemps, et l’idée ne me plaisait pas, même à l’époque. Mais le film (Repulsion, de Roman Polanski, ndlr) sortait aux Etats-Unis, tout le monde insistait, et j’ai fini par accepter, même si je ne me sentais pas du tout à l’aise. Je le regrette: c’est une erreur de faire des choses si on ne le souhaite pas. »

Parler n’est pas jouer

Des regrets, l’actrice confesse cependant n’en avoir que fort peu -« il y a bien quelques films que je pourrais regretter de n’avoir pas tournés, et d’autres pour lesquels j’aurais mieux fait de m’abstenir, mais ils ne sont guère nombreux, et je ne donnerai pas de noms, ni de titres… » (rires) Au rang des projets non aboutis, on pointera toutefois celui qui aurait dû l’associer à Hitchcock -une évidence, pour ainsi dire, mais qui ne put se concrétiser, The Short Night avortant en raison de la santé chancelante du maître du suspense. Quant au fait qu’elle n’ait, en définitive, guère travaillé à Hollywood, elle l’accepte avec philosophie: « Je n’y ai tourné que fort peu, sur de petites productions, avec des acteurs qui étaient également coproducteurs. Cela induisait une relation particulière et ne correspondait pas au schéma classique des productions de studios. Il est très difficile de tourner dans une autre langue que la sienne: parler et jouer dans une langue sont deux choses totalement différentes. »

On doit, du reste, à la vérité d’ajouter qu’elle n’en avait pas besoin, son parcours n’en finissant pas de scintiller en l’état. Faisant fi de toute nostalgie, Deneuve, éternelle, affirme, pour autant, ne rien tant aimer que de vivre dans le présent -« je ne suis pas le genre de personne à regarder en arrière, je vais de l’avant« , assure-t-elle. Et cela, même si l’époque a parfois le don de l’étonner. « Ne trouvez-vous pas bizarre que des célébrités doivent relever le ice bucket challenge pour récolter de l’argent pour une bonne cause? Je peux comprendre, mais je ne le ferais pas. Mais voilà, le public est heureux de voir des gens connus s’imposer une légère humiliation. Que l’on en soit réduit à cela m’a surprise -il y a d’autres manières de procéder. (…) La façon dont les gens regardent les stars a changé: l’époque est beaucoup plus intrusive, on vous accoste au restaurant pour vous prendre en photo, c’est devenu fort étrange. Non que l’on doive être placé sur un piédestal, mais c’est une question de dignité: si l’on tient au respect de sa vie privée, on est en droit de le demander, et cela, sans égard pour son éventuel degré de notoriété… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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